« L’amour la poésie »
« La femme est l’être qui projette la plus grande ombre ou la plus grande lumière dans nos rêves » écrivait Baudelaire. A la lueur de cette étoile, les surréalistes ont magnifié la relation amoureuse, méritant ce qu’ Albert Camus écrivait de Breton : « Dans la chiennerie de son temps, et ceci ne peut s’oublier, il est le seul à avoir parlé profondément de l’amour. L’amour est la morale en transes qui a servi de patrie à cet exilé. » (L’Homme révolté). Opposé certes à la chiennerie du temps, l’amour est aussi pour les surréalistes cette révolution privée où s’autorisent toutes les transgressions. Ce discours amoureux, dont les fragments épars chez des auteurs pourtant divisés se répondent en échos harmonieux, est sans doute ce que le surréalisme aura laissé de plus vibrant pour attester de son énergie.
Paul Eluard (1895-1952)
Poésie ininterrompue, I, v. 182-220 (1945)
Bien que tardif dans la production du mouvement (et dans celle d’Eluard), ce long poème exprime avec ferveur toute l’importance que les surréalistes ont donnée à l’amour, en tant qu’il engage le salut de tous et constitue la réponse la plus définitive que l’homme puisse opposer à l’absurdité et à la barbarie du monde.De l’océan à la source
De la montagne à la plaine
Court le fantôme de la vie
L’ombre sordide de la mort
Mais entre nous
Une aube naît de chair ardente
Et bien précise
Qui remet la terre en état
Nous avançons d’un pas tranquille
Et la nature nous salue
Le jour incarne nos couleurs
Le feu nos yeux et la mer notre union
Et tous les vivants nous ressemblent
Tous les vivants que nous aimons
Les autres sont imaginaires
Faux et cernés de leur néant
Mais il nous faut lutter contre eux
Ils vivent à coups de poignard
Ils parlent comme un meuble craque
Leurs lèvres tremblent de plaisir
A l’écho de cloches de plomb
A la mutité d’un or noir
Un seul cœur pas de cœur
Un seul cœur tous les cœurs
Et les corps chaque étoile
Dans un ciel plein d’étoiles
Dans la carrière en mouvement
De la lumière et des regards
Notre poids brillant sur terre
Patine de la volupté
A chanter des plages humaines
Pour toi la vivante que j’aime
Et pour tous ceux que nous aimons
Qui n’ont envie que de s’aimer
Je finirai bien par barrer la route
Au flot des rêves imposés
Je finirai bien par me retrouver
Nous prendrons possession du monde
21 mai 2009
1.POESIE, Paul Éluard