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La lecture analytique du texte narratif

21 mai 2009

1.LECTURE

Jules Supervielle (1884-1960)
Le voleur d’enfants (1926), incipit


Reportez-vous au tableau des types de textes afin de mieux vous familiariser avec les formes du texte narratif.

Antoine a sept ans, peut-être huit. Il sort d’un grand magasin, entièrement habillé de neuf, comme pour affronter une vie nouvelle. Mais pour l’instant, il est encore un enfant qui donne la main à sa bonne, boulevard Haussmann.
Il n’est pas grand et ne voit devant lui que des jambes d’hommes et des jupes très affairées. Sur la chaussée, des centaines de roues qui tournent ou s’arrêtent aux pieds d’un agent âpre comme un rocher.
Avant de traverser la rue du Havre, l’enfant remarque, à un kiosque de journaux, un énorme pied de footballeur qui lance le ballon dans des « buts » inconnus. Pendant qu’il regarde fixement la page de l’illustré, Antoine a l’impression qu’on le sépare violemment de sa bonne. Cette grosse main à bague noire et or qui lui frôla l’oreille ?
L’enfant est entraîné dans un remous de passants. Une jupe violette, un pantalon à raies, une soutane, des jambes crottées de terrassier, et par terre une boue déchirée par des milliers de pieds. C’est tout ce qu’il voit. Amputé de sa bonne, il se sent rougir. Colère d’avoir à reconnaître son impuissance dans la foule, fierté refoulée d’habitude et qui lui saute au visage ? Il lève la tête. Des visages indifférents ou tragiques. De rares paroles entendues n’ayant aucun rapport avec celles des passants qui suivent : voilà d’où vient la nostalgie de la rue. Au milieu du bruit, l’enfant croit entendre le lugubre appel de sa bonne : « Antoine ! » La voix lui arrive déchiquetée comme par d’invisibles ronces. Elle semble venir de derrière lui. Il rebrousse chemin, mais ne répond pas. Et toujours le bruit confus de la rue, ce bruit qui cherche en vain son unité parmi des milliers d’aspirations différentes. Antoine trouve humiliant d’avoir perdu sa bonne et ne veut pas que les passants s’en aperçoivent. Il saura bien la retrouver tout seul. Il marche
maintenant
du côté de la rue de Provence, gardant dans sa paume le souvenir de la pression d’une main chère et rugueuse dont les aspérités semblaient faites pour mieux tenir les doigts légers d’un enfant.
© Grasset

Problématique :  ce texte est l’incipit (la première page) du roman de Supervielle. Le point de vue choisi par le narrateur est, à l’évidence, celui de l’enfant. Toutefois la présence de certains niveaux de langue et d’image attire notre attention. La narration n’a-t-elle pas d’autre ambition que celle d’installer le lecteur dans cette subjectivité ? Au–delà, peut-on établir les caractères particuliers d’une écriture romanesque (on saura que Supervielle est surtout à l’origine d’une œuvre poétique) ?

Nous suivrons pour cette lecture analytique les étapes propres à l’interrogation du texte narratif, que vous trouverez synthétisées dans une fiche pratique à la fin de cet exercice.

Objectif 1 : observation d’ensemble et attentes de lecture :

  Lisez d’abord ce texte attentivement et à plusieurs reprises. Notez vos premières impressions (par quoi êtes-vous surtout touché ?). Elles constitueront quelques premières hypothèses de lecture.
Vous pouvez recueillir quelques informations sur Jules Supervielle, voire sur Le voleur d’enfants, mais ce n’est nullement nécessaire (vous ne disposerez pas de documentation le jour de l’examen !). Contentez-vous de vous interroger sur le titre du roman et des attentes qu’il peut générer.

Résumez brièvement vos premières impressions et vos attentes.

Objectif 2 : la fiction (ce qui est raconté) :

- Vous avez noté qu’il s’agit d’une première page de roman. Celle-ci vous semble-t-elle conforme à ce qu’est une première page dans le roman réaliste du XIX° siècle (Balzac notamment) ? Pourquoi ? Qu’attend-on d’une première page de roman et quelles sont les conséquences d’un incipit de cette nature (on appelle ceci un incipit in medias res) ? A quelles séquence narratives peut-on assimiler cet épisode (identifiez les indices d’un état initial et l’élément perturbateur : notez par exemple les adverbes de temps « pour l’instant, toujours, maintenant ») ?

- Quelle est la durée de l’épisode ? Dispose-t-on de beaucoup d’indices ? Pourquoi ? Repérez les indices locaux. Que peut-on remarquer ?

- Caractérisez le personnage central (notez par exemple les éléments qui signalent un enfant). Dénombrez les personnages. Par quels pronoms, adjectifs démonstratifs ou possessifs sont-ils désignés. Qu’en concluez-vous ?
Quelle relation s’instaure entre le personnage central et l’univers qui l’entoure ?

  Synthétisez vos remarques. Vous pouvez notamment avoir perçu l’atmosphère imprécise du texte et les relations confuses que le personnage entretient avec le monde.

 

Objectif 3 : la narration (comment est-ce raconté ?) :

- les temps : le narrateur peut choisir diverses positions par rapport à la fiction qu’il entreprend de raconter :

ORDRE DE LA NARRATION
    par rapport à la fiction, la narration peut être…
postérieure le narrateur raconte le déroulement de faits passés
simultanée le narrateur est contemporain du déroulement des faits
antérieure le narrateur anticipe sur les faits à venir

        Vous aurez repéré ici la persistance du présent de l’indicatif. Pourquoi ce choix ? Qu’en concluez-vous d’emblée sur la place du narrateur par rapport à la fiction ?

- le rythme narratif : une narration installe une durée propre qui n’a rien à voir avec la durée réelle : 

LE RYTHME NARRATIF
  en dehors d’une situation de dialogue (scène), le temps de la narration (TN) n’est pas le même que celui de la fiction (TF).

Quel est ici le rapport temporel entre la narration et la fiction ? Confirmez par votre réponse vos conclusions précédentes.

- le point de vue du narrateur :

- qui raconte ? Y a-t-il ici des marques directes de la présence du narrateur ? d’un jugement quelconque de celui-ci sur son personnage (pouvez-vous repérer des traces de discours ?) ?
- qui voit ? Relevez tous les verbes du regard et de la sensation. Que remarquez-vous ? Quel est le sujet grammatical de ces verbes ? Tirez-en le niveau de focalisation* :

*LE POINT DE VUE DU NARRATEUR
   
les focalisations révèlent la position du narrateur et son niveau de perception :

 Que voit ici le personnage central ? Que voyons-nous en tant que lecteurs ? Peut-on vérifier le fait que l’on a affaire à un enfant (ses centres d’intérêt, par exemple, ou ce qu’il est condamné à ne pas voir) ?

La lecture analytique du texte narratif dans 1.LECTURE bloc  Synthétisez vos remarques concernant la place du narrateur : vous aurez pu mettre en évidence la nature particulière d’une atmosphère perçue par un enfant (rétrécissement du champ de vision, confusion due à son égarement).

 

Objectif 4 : procédés d’écriture :

- niveaux de langue : caractérisez-les (les termes « âpre, aspérités » peuvent-ils appartenir au langage d’un enfant ? Qu’en concluez-vous ?)
- pouvez-vous constituer un ou plusieurs champs lexicaux ? Montrez qu’ils sont en rapport avec vos observations précédentes.
- ce texte est, bien entendu, une page de prose, mais la langue correspond-elle toujours à ce qu’on attend d’une prose ? A quels moments ? Pourquoi ce mélange ?
- relevez ainsi les différents degrés de l’image, de la comparaison à la métaphore ou à la personnification : ainsi l’hypallage « des jupes très affairées ».

plume3 dans 1.LECTURE Au terme de votre lecture analytique, vous pouvez relire vos observations et vos bilans intermédiaires. Il devrait se dégager de cette synthèse générale deux ou trois observations récurrentes qui construisent votre projet de lecture. A l’oral, vous pourriez les développer successivement. Mais vous pouvez aussi présenter votre lecture sous la forme que nous avons suivie : une lecture méthodique n’est pas un commentaire composé oral et ne doit pas nécessairement se présenter comme un « produit fini » ! C’est votre démarche qui compte et votre progression rigoureuse dans l’interprétation à l’aide des indices que vous avez su relever.

 Néanmoins (et notamment dans l’optique de l’oral de l’EAF), il peut être avantageux de regrouper vos remarques autour d’axes capables de rendre compte de votre lecture dans les délais impartis. Exercez-vous à remplir le tableau suivant autour des deux directions que nous suggérons  :

Un univers au niveau de l’enfant
- le rétrécissement
- incertitudes et confusions
- le discours indirect libre
Les distorsions dans ce point de vue
- les marques du jugement ou de l’anticipation
- le registre de langue soutenue
- poésie de l’imaginaire (degrés de la métaphore)

 

FICHE PRATIQUE : les questions à poser au texte narratif

puc La fiction (ce qui est raconté) :

  • place du texte dans le roman et dans le schéma narratif : état initial ? action (élément perturbateur, péripéties, élément de résolution) ? état final ? le texte présente-t-il les étapes d’un schéma narratif ?
  • indices spatio-temporels : durée de l’histoire ? atmosphère générale (nature du décor, importance des formes descriptives) ?
  • caractérisation des personnages : par le portrait, les discours rapportés et/ou par les rapports qui se créent entre eux (conflit ? fusion ?)

puc La narration  (comment est-ce raconté ?) :

  • le temps : quelle est la place de la narration par rapport à la fiction (antérieure, simultanée, postérieure ?) quelle est la valeur des différents temps verbaux ?
  • le rythme narratif : quelle durée occupe la narration par rapport à la fiction ( pause, ralenti, scène, sommaire ou ellipse) ?
  • le point de vue du narrateur (focalisation) : qui raconte ? le narrateur est-il présent (discours) ou absent à l’histoire ? qui voit (formes descriptives) ?
  • procédés d’écriture : niveaux de langue, syntaxe et figures de style ?

 

 

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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