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La lecture analytique du texte descriptif

21 mai 2009

1.LECTURE

Avant-propos : procès du « réalisme »:

  Le texte descriptif est
sans doute celui qui apparaît aux élèves comme le plus rebutant. Soucieux d’action et
de rythme, on lui reproche sa lenteur sans apercevoir sa justification. Ce procès n’est
pas nouveau, et il est alimenté par les meilleurs esprits. Qu’on en juge par cette
critique adressée par André Breton à la description dans le roman:

Et les
descriptions ! Rien n’est comparable au néant de celles-ci ; ce n’est que superposition
d’images de catalogue, l’auteur en prend de plus en plus à son aise, il saisit l’occasion
de me glisser ses cartes postales, il cherche à me faire tomber d’accord avec lui sur des
lieux communs :
  La petite pièce dans laquelle le jeune homme fut
introduit était tapissée de papier jaune : il y avait des géraniums et des rideaux de
mousseline aux fenêtres ; le soleil couchant jetait sur tout cela une lumière crue… La
chambre ne renfermait rien de particulier. Les meubles, en bois jaune, étaient tous très
vieux. Un divan avec un grand dossier renversé, une table de forme ovale vis-à-vis du
divan, une toilette et une glace adossées au trumeau, des chaises le long des murs, deux
ou trois gravures sans valeur qui représentaient des demoiselles allemandes avec des
oiseaux dans les mains, – voilà à quoi se réduisait l’ameublement. (Dostoïevski,
Crime
et châtiment)
  Que l’esprit se propose, même passagèrement, de tels motifs, je ne suis pas
d’humeur à l’admettre. On soutiendra que ce dessin d’école vient à sa place, et qu’à
cet endroit du livre l’auteur a ses raisons pour m’accabler. Il n’en perd pas moins son
temps, car je n’entre pas dans sa chambre.
(André Breton, Manifeste du surréalisme, 1924) ©
Gallimard

A cette critique, adressée à l’attitude réaliste en général, Michel Butor
a opposé une réfutation claire :

J’entre en même
temps que le jeune homme dans une pièce tapissée de jaune. D’où vient ce singulier
pouvoir, rendre absents les objets présents, cette « hantise », comment la
chambre imaginaire peut-elle s’imposer à ce point?
Il faut naturellement que les différents éléments qui constituent cette
description soient liés les uns aux autres par quelque nécessité, se coagulent en un
stable fantasme.
Il y a d’abord cette « composition » qui enchaîne leurs formes, comme dans
une nature morte hollandaise ; mais si cette chambre m’ »apparaît » si fortement,
c’est qu’elle est elle-même un mode par lequel m’apparaît autre chose, c’est que ces
objets sont à leur tour des « mots ».
Car l’auteur a choisi cette couleur spécialement, ces meubles, parce que tout cela
va me renseigner sur l’époque où se passe l’histoire, le milieu où elle se déroule,
les habitudes de vivre et de penser de la personne qui habite là, sur sa situation de
fortune. Non seulement ses gestes, sa conduite diurne nous sont ainsi définis, mais parmi
ces objets il en est d’un type particulier (analogues à la description même) qui vont
nous révéler ce qui la hante aussi lorsqu’elle prête plus d’attention à ce local.
[...]
Devant un tel pouvoir, d’autant plus grand que je serai mieux capable de situer le
texte en question dans le temps de son auteur, devant ce prodigieux déploiement peu à
peu de tout un monde, de tout notre monde se proposant ainsi indéfiniment à l’analyse,
ne suis-je pas obligé d’employer l’adjectif « poétique »?
(Michel Butor, Le roman et la poésie in Répertoire II, 1964) © Éditions de Minuit

  La description ne se contente donc pas de donner au
roman un effet de réel. Elle multiplie les signes par lesquels une atmosphère,
le tempérament des personnages et la nature de leurs conflits se trouvent incarnés.
« Sauter » un passage descriptif quand on lit un roman, c’est ainsi se priver de
ses clefs les plus précieuses.

 Nous vous proposons
d’apercevoir cette fonction poétique de la description romanesque à
travers un texte d’Honoré de Balzac. Vous pouvez d’abord consulter le
tableau des types de textes afin de vous familiariser avec les
caractères du
texte descriptif
.


Honoré de
Balzac : Le père Goriot (1834-1835)

(L’essentiel
du roman se déroule dans une pension de famille. Dans les premières pages, le narrateur
décrit très minutieusement le quartier, la maison, les pièces où va se dérouler la
fiction. Il entreprend ici la description du salon avant de passer à la salle à manger).

  Cette première pièce exhale une odeur sans nom dans la
langue, et qu’il faudrait appeler l’odeur de pension. Elle sent le renfermé, le
moisi, le rance ; elle donne froid, elle est humide au nez, elle pénètre les vêtements
; elle a le goût d’une salle où l’on a dîné ; elle pue le service, l’office,
l’hospice. Peut-être pourrait-elle se décrire si l’on inventait un procédé pour
évaluer les quantités élémentaires et nauséabondes qu’y jettent les atmosphères
catarrhales et sui generisLa lecture analytique du texte descriptif  dans 1.LECTURE asterde chaque
pensionnaire, jeune ou vieux. Eh bien, malgré ces plates horreurs, si vous le compariez
à la salle à manger, qui lui est contiguë, vous trouveriez ce salon élégant et
parfumé comme doit l’être un boudoir. Cette salle, entièrement boisée, fut jadis
peinte en une couleur indistincte aujourd’hui, qui forme un fond sur lequel la crasse a
imprimé ses couches de manière à y dessiner des figures bizarres. Elle est plaquée de
buffets gluants sur lesquels sont des carafes échancrées, ternies, des ronds de moiré
métallique, des piles d’assiettes en porcelaine épaisse, à bords bleus, fabriquées à
Tournai. Dans un angle est placée une boîte à cases numérotées qui sert à garder les
serviettes, ou tachées ou vineuses, de chaque pensionnaire. Il s’y rencontre de ces
meubles indestructibles proscrits partout, mais placés là comme le sont les débris de
la civilisation aux Incurables. Vous y verriez un baromètre à capucin qui sort quand il
pleut, des gravures exécrables qui ôtent l’appétit, toutes encadrées en bois noir
verni à filets dorés ; un cartelaster dans 1.LECTUREen écaille incrustée de
cuivre ; un poêle vert, des quinquets d’Argand où la poussière se combine avec l’huile,
une longue table couverte en toile cirée assez grasse pour qu’un facétieux externe y
écrive son nom en se servant de son doigt comme de styleaster, des chaises estropiées, de petits
paillassons piteux en sparterie qui se déroule toujours sans se perdre jamais, puis des
chaufferettes misérables à trous cassés, à charnières défaites, dont le bois se
carbonise. Pour expliquer combien ce mobilier est vieux, crevassé, pourri, tremblant,
rongé, manchot, borgne, expirant, il faudrait en faire une description qui retarderait
trop l’intérêt de cette histoire, et que les gens pressés ne pardonneraient pas. Le
carreau rouge est plein de vallées produites par le frottement ou par les mises en
couleur. Enfin là règne la misère sans poésie ; une misère économe, concentrée,
râpée. Si elle n’a pas de fange encore, elle a des taches ; si elle n’a ni trous ni
haillons, elle va tomber en pourriture.
Problématique :
une description située, comme celle-ci, au début d’un roman, se doit de
présenter un caractère informatif destiné à procurer au lecteur un « effet
de réel ». Est-ce bien le cas de ce texte ? La minutie que trahit
l’inventaire des objets n’obéit-elle qu’à une intention purement
référentielle et réaliste ?

Objectif 1 : place et fonction du passage :

-
Vous pourrez tirer parti du paratexte (auteur, titre de
l’œuvre, dates) pour compléter vos informations, voire pour lire le roman. Mais ce
n’est nullement nécessaire : laissez parler le texte. Sans affirmer qu’il vaut mieux ne
rien connaître de l’œuvre pour en expliquer un extrait, disons tout au moins que
c’est une bonne condition pour ne rien plaquer qui soit extérieur à lui ! Vous pourrez
utilement définir les termes que vous ne connaissez pas (sans engager la compréhension
claire du texte, certains donnent néanmoins à voir des objets non négligeables).
- Vous aurez noté que cette page se situe au tout début du roman. A quelle fonction de
la description peut-on s’attendre ? Montrez que le narrateur assume ici un rôle de guide
: repérez les adresses au lecteur. Quel statut les pronoms de la deuxième personne du
pluriel nous assignent-ils ? Une des dernières phrases du texte s’excuse de ne pas
développer la description pour ne pas retarder l’intrigue : elle contient le verbe
« expliquer ». Commentez ce verbe et ce qu’il semble trahir de l’intention globale
du narrateur lorsqu’il décrit.

Prenez l’habitude, après chacune des étapes de la lecture
méthodique, de faire un bilan intermédiaire qui synthétise vos remarques les plus
significatives. Relus l’un après l’autre à l’issue de votre travail, ils constitueront
de précieuses indications pour élaborer votre projet de lecture. Ici, vous pourrez par
exemple parler de description réaliste, souligner son aspect documentaire (référentiel)
et donc générer quelques attentes de lecture sur cet aspect. Lesquelles ?

Objectif 2 : l’espace et le temps de la description :

- Relevez les indices spatiaux. Montrez qu’ils nous aident à
nous représenter un espace à l’intérieur duquel on a soin de nous fournir des repères.
Confirmez votre observation précédente.
- Il arrive qu’une description évoque un lieu dans des temps différents. Vous aurez
noté qu’il n’en est rien ici et que le narrateur emploie pour l’essentiel le présent de
l’indicatif. Quelle valeur donnez-vous ici à ce temps ? Il peut être intéressant de
noter le moment choisi par le narrateur dans la « vie » du lieu : commentez dans
cet esprit la dernière phrase du texte. A quoi le narrateur s’intéresse-t-il dans le
lieu qu’il évoque ? Ceci est-il susceptible d’être décrit de manière documentaire ?
Vous pourrez commencer à vous intéresser à ce qui semble lui importer : la peinture
d’un phénomène de dégradation.
Procédez à un deuxième petit bilan : vos attentes d’une « description
réaliste » sont-elles tout à fait contentées ? Pourquoi ?

 

Objectif 3 : le point de vue :

- Qui voit ? Montrer qu’il est impossible de déterminer un
foyer précis de perception (on parlera de focalisation 0), d’autant plus que le narrateur
anticipe sur la vision que nous pourrions avoir de l’espace (« vous trouveriez,
vous y verriez »
) et témoigne d’une connaissance complète du lieu. Relevez les
passages où les caractères du récit laissent la place à ceux du discours (formulation
de vérités générales, par exemple). Montrez que, dans la perception de ce narrateur
omniscient, presque tous les sens sont concernés et que l’odorat (les sensations
olfactives) est aussi mobilisé que la vue.
- Qui juge ? Classez les termes qui impliquent un jugement et montrez que certains objets
sont caractérisés comme des êtres vivants. Quelle est la caractérisation dominante ?
Reliez votre réponse à vos observations de l’objectif 2 : le narrateur décrit-il un
lieu ou tente-t-il d’évoquer une atmosphère ? Montrez que pour cela le narrateur semble
parfois faire état d’une volonté scientifique (relisez la troisième phrase) que vous
pourrez expliquer.
Ici encore, ramassez vos observations en une formulation plus concise : vous devriez
progresser dans la mise en évidence d’une description qui vise moins à donner
l’impression d’un lieu réel qu’à faire naître une atmosphère mentale, comme une
ouverture d’opéra annonce par des leit-motive les thèmes à venir.

 

Objectif 4 : les rapports entre le texte et l’espace :

- Montrez que les termes désignant les ustensiles et le
mobilier obéissent à une volonté d’authenticité. Quelle impression nous donnent les
énumérations qui en font l’inventaire? le choix de ces objets est-il néanmoins
innocent? Commentez quelques-uns d’entre eux (« la boîte à cases« ,
notamment).
- Dans une description, les objets deviennent des mots, et c’est par ces mots que le
narrateur les rend signifiants. Essayez de constituer quelques champs lexicaux : vous
devriez pouvoir repérer des séries de termes qui tendent à installer quelques thèmes
dans notre esprit (la misère, bien sûr, mais surtout la ruine expirante).
- Ces mots sont en outre dotés de sonorités et c’est à ce titre qu’on peut parler d’une
fonction poétique du langage (le mot vaut moins par la chose qu’il désigne que
par sa sonorité même ou ses connotations). Commentez dans ce sens la gradation créée
par l’homéotéleuteaster« le service, l’office, l’hospice« 
(autre terme évoqué?) et l’allitération des « petits paillassons piteux en
sparterie
« . Quelle impression laissent ces sonorités ?

fleche2  Il est temps de dresser un bilan définitif en tenant compte de ces
dernières observations. Relisant tous les bilans intermédiaires, pouvez-vous continuer
à parler de description réaliste, à vocation purement référentielle ? Quelle est donc
l’importance narrative d’un passage comme celui-ci et pourquoi aurait-on tort d’en
négliger la lecture ? (Vous saurez que Le père Goriot raconte l’histoire
lamentable d’un vieillard qui, après s’être sacrifié pour ses filles, est abandonné
par elles dans la misère de cette pension).

  Votre conclusion pourra établir
cette fonction poétique de la description et établir le bilan de votre démarche, dont
vous aurez eu soin de garder, à l’oral, le caractère progressif.

FICHE PRATIQUE
: les questions à poser au texte descriptif

puc2Place et fonction du passage :

  • tirer parti du contexte dans lequel s’inscrit le
    passage : au début du roman, sa valeur est présentatrice et fournit des repères au
    lecteur ; dans le cours du roman, il trahit le regard d’un personnage et son état d’âme.
  • importance du passage à ce moment de la
    narration ?

puc2L’espace et le temps de la description :

  • relever les indices spatiaux : peut-on se
    repérer aisément dans l’espace ? La description a-t-elle par sa précision une valeur
    documentaire ou évoque-t-elle un lieu à construire par l’imagination ?
  • relever les indices temporels : la description
    évolue-t-elle dans le temps ? Quelles sont alors les transformations de l’espace décrit
    ? Quels sont les temps verbaux ?

puc2Le point de vue :

  • Qui voit ? Repérer le vocabulaire de la
    perception (visuelle ou autre). Déterminer le niveau de focalisation (qui voit ? d’où ? quoi ?) et évaluer le degré de
    subjectivité de la description.
  • Qui juge ? Repérer le vocabulaire qui marque un jugement, implicite ou
    explicite. De
    qui émane-t-il ? D’un personnage (focalisation interne) ou d’un narrateur omniscient
    (focalisation 0) ? Le registre
    est-il didactique ? lyrique ? satirique ? pathétique ?

puc2Les rapports entre le texte et l’espace décrit :

  • Relever les champs lexicaux : sont-ils en rapport
    simplement référentiel avec l’espace ou tentent-ils d’évoquer une atmosphère, un
    caractère (connotations, registres de langue, sonorités) ?
  • Être attentif au degré de l’image
    (métaphores), qui signale une description plus subjective ou symbolique.

 

 

 

 

 

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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