Étudier une stratégie argumentative
Dans l’optique de l’oral, nous proposons ci-dessous une analyse de la stratégie propre au texte argumentatif, qui impose de considérer l’ensemble des moyens mis au service d’une thèse : système énonciatif, registres employés, organisation des discours. Il s’agit donc d’une véritable lecture analytique du texte argumentatif. C’est à ce travail que nous vous invitons ci-dessous, sous la forme qu’il revêt parfois : une comparaison de deux discours. Commencez par consulter le tableau des types de textes pour vous familiariser avec les caractères des textes argumentatif.
Lisez attentivement les deux textes suivants : une page célèbre de J.J. Rousseau est confrontée à la réponse que lui fit indirectement Voltaire.
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Rousseau : Discours sur l’origine de l’inégalité (1755) Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : « Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n’est à personne! » Mais il y a grande apparence qu’alors les choses en étaient déjà venues au point de ne plus pouvoir durer comme elles étaient : car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d’idées antérieures qui n’ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d’un coup dans l’esprit humain : il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l’industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d’âge en âge, avant que d’arriver à ce dernier terme de l’état de nature. [...] La métallurgie et l’agriculture furent les deux arts dont l’invention produisit cette grande révolution. Pour le poète, c’est l’or et l’argent, mais pour le philosophe ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes, et perdu le genre humain. Voltaire : Ainsi, selon ce beau philosophe, un voleur, un destructeur aurait été le bienfaiteur du genre humain; et il aurait fallu punir un honnête homme qui aurait dit à ses enfants : « Imitons notre voisin, il a enclos son champ, les bêtes ne viendront plus le ravager ; son terrain deviendra plus fertile; travaillons le nôtre comme il a travaillé le sien, il nous aidera et nous l’aiderons. Chaque famille cultivant son enclos, nous serons mieux nourris, plus sains, plus paisibles, moins malheureux. Nous tâcherons d’établir une justice distributive qui consolera notre pauvre espèce, et nous vaudrons mieux que les renards et les fouines à qui cet extravagant veut nous faire ressembler. » Comme dans le cas d’une lecture analytique classique, un certain nombre de questions doivent être envisagées dans un certain ordre. Celles-ci correspondent aux caractères connus du texte argumentatif. Ces étapes doivent constituer les différentes parties, soigneusement rédigées, de votre travail. Ne construisez pas, en effet, un plan qui vous ferait passer en revue les textes l’un après l’autre : il s’agit bel et bien de les comparer ! 1) Le système énonciatif : - les thèses en présence : formulez-les nettement en faisant apercevoir leur différence radicale. Les deux philosophes utilisent pour l’exprimer un petit mythe fondateur, qui tient donc du récit. Il s’agit d’un apologue. Montrez, là aussi, les différences : une dramatisation évidente, et presque épique, chez Rousseau pour évoquer une cassure originelle (il emploie des temps du passé) ; une narration familière, patriarcale, chez Voltaire pour manifester un projet d’ordre économique (il emploie le futur). Qu’en conclure sur l’opposition des deux hommes et du sens qu’elle prend en plein siècle des Lumières ? - qui parle ? à qui ? Les deux textes mettent en scène une situation sous la forme d’un discours rapporté. Vous pourrez commenter avec profit les différences de ces deux discours : au vous employé par Rousseau sur le ton de l’imprécation et de la menace, s’opposent le nous patriarcal de Voltaire puis les trois questions rhétoriques qui appellent l’adhésion du lecteur. - le degré d’implication de l’émetteur : les deux textes sont forts différents sur ce point. Si, dans les deux discours, le je est absent, les indices de l’opinion ne manquent pas. Évaluez le degré de certitude en relevant les modalisateurs (ainsi la tonalité exclamative chez Rousseau, le caractère plus posé de l’énonciation chez Voltaire).
2) les registres : - la nature du vocabulaire : dans les deux textes, les termes ont un évident registre moral. Dans quel texte cette tonalité est-elle la plus austère et la plus violente? Dans quel texte, ce vocabulaire marque-t-il au contraire un effort de simplicité et de réalisme ? Pourquoi ?
3) l’organisation : - montrez que Voltaire calque l’organisation de son argumentation sur celle de Rousseau. Pourquoi ? - quel est le type de raisonnement employé (reportez-vous aux types d’arguments)? Quelle place occupe le récit proprement dit dans l’argumentation ? Doit-on parler d’induction ou de déduction dans le dégagement de la leçon finale ?
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21 mai 2009
1.LECTURE