Alphonse DAUDET (1840-1897)
Les étoiles
1.Je me faisais raconter les nouvelles du pays d’en bas, les baptêmes, les mariages; mais ce qui m’intéressait surtout, c’était de savoir ce que devenait la fille de mes maîtres, notre demoiselle Stéphanette, la plus jolie qu’il y eût à dix lieues à la ronde. Sans avoir l’air d’y prendre trop d’intérêt, je m’informais si elle allait beaucoup aux fêtes, aux veillées, s’il lui venait toujours de nouveaux galants; et à ceux qui me demanderont ce que ces choses-là pouvaient me faire, à moi pauvre berger de la montagne, je répondrai que j’avais vingt ans et que cette Stéphanette était ce que j’avais vu de plus beau dans ma vie.
2.J’entendis qu’on m’appelait dans la descente, et je vis paraître notre demoiselle, non plus rieuse ainsi que tout à l’heure, mais tremblante de froid, de peur, de mouillure. il paraît qu’au bas de la côte elle avait trouvé la Sorgue grossie par la pluie d’orage, et qu’en voulant passer à toute force, elle avait risqué de se noyer. Le terrible, c’est qu’à cette heure de nuit il ne fallait plus songer à retourner à la ferme; car le chemin par la traverse, notre demoiselle n’aurait jamais su s’y retrouver toute seule, et moi je ne pouvais pas quitter le troupeau. Cette idée de passer la nuit sur la montagne la tourmentait beaucoup, surtout à cause de l’inquiétude des siens.
3.
Quand on n’en a pas l’habitude, ça fait peur… Aussi notre demoiselle était toute frissonnante et se serrait contre moi au moindre bruit. Une fois, un cri long, mélancolique, parti de l’étang qui luisait plus bas, monta vers nous en ondulant. Au même instant une belle étoile filante glissa par-dessus nos têtes dans la même direction, comme si cette plainte que nous venions d’entendre portait une lumière avec elle.
- Qu’est-ce que c’est ? me demanda Stéphanette à voix basse.
- Une âme qui entre en paradis, maîtresse; et je fis le signe de la croix.
Elle se signa aussi, et resta un moment la tête en l’air, très recueillie.
Alphonse Daudet – Les étoiles
17 avril 2009
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