Dimanche 22 Mars 2009 19h37mn 01s
« ALIA MOSTEFAOUI »
Le lobe de l’oreille, l’orteil et la jambe
Un sultan avait sept filles. Six avaient épousé de preux chevaliers, la septième avait choisi un idiot surnommé le Teigneux car il se coiffait d’une panse de brebis. Aussi ce dernier poussait-il le ridicule jusqu’à chevaucher un âne galeux, à l’envers, en le tenant par la queue. Un jour, le roi voulut éprouver ses gendres. Il fit semblant d’être malade et réclama, pour sa guérison, du lait de lionne. Les six chevaliers, fiers et imbus de leur personne, filèrent ensemble en crachant sur le Teigneux qui fut obligé de prendre un autre chemin. Ils ignoraient que c’était le grand roi Haroun Rachid, contraint de vivre ainsi car Dieu lui avait prescrit sept années de malheur.
Plus loin sur la route, un miracle se produisit et le grand saint, Sidi Abdelkader, apparut au roi déchu. Il lui offrit une outre remplie de lait de lionne, le métamorphosa en magnifique chevalier, et disparut. Sur le chemin du retour, Haroun Rachid rencontra ses six beaux-frères qui n’avaient pas réussi à trouver le lait. Ils ne le reconnurent pas. C’est alors qu’il leur proposa de leur donner le lait contre un bout du lobe de l’oreille de chacun. Ils acceptèrent et Haroun Rachid garda les six lobes dans une musette. Au retour, le sultan fut satisfait de ses six gendres et déçu du septième. Ce dernier avait repris son aspect de Teigneux et s’en revenait les mains vides chevauchant son âne.
La fois d’après, le sultan exigea pour sa guérison une pomme qui se trouvait dans le jardin de la terrible ogresse Allia Bent-Mansour sekna cheg sebaâ bhour (« Alia la fille de Mansour qui habite au-delà des sept mers »). Les six, comme à leur habitude, prirent la route ensemble espérant croiser le chemin du chevalier. Le Teigneux de son côté rencontra le saint qui, cette fois, lui dit :
- Tiens ! Voilà deux fois sept perdrix. Tu découvriras, au bord des océans un aigle géant qui te les fera franchir sans se poser. Pour qu’il accomplisse la traversée, tu lui offriras à manger une perdrix à chaque étape.
Ainsi, le roi déchu suivit les conseils du saint. A l’aller, tout se déroula dans les meilleures conditions. L’aigle reçut comme convenu une perdrix après avoir franchi chacun des sept océans. L’aigle le déposa dans le jardin d’Allia Bent-Mansour, il y cueillit une pomme et s’en retourna. Comme pour l’aller, il offrit à l’aigle les perdrix. Mais à la septième et dernière étape la perdrix lui échappa des mains et tomba dans l’eau. Sans hésiter Haroun Rachid sortit son couteau et se trancha un bout de chair, derrière le genou. Il le mit dans le bec de l’oiseau qui dit, écoeuré :
- Hum ! Cette viande est salée, que m’as-tu donné ?
- De ma chair, car j’ai perdu la perdrix.
- Reprends ta chair, et estime-toi heureux. Cette négligence aurait pu te coûter la vie.
Le roi recolla en hâte le morceau sur sa jambe. L’aigle le mena à bon port. De nouveau, sous l’apparence d’un chevalier, il proposa l’échange aux six, qui avaient échoué, et obtint de chacun un bout du cinquième orteil qu’il mit également dans la musette.
Arriva le moment où Haroun Rachid réalisa que les sept ans de malheur venaient de s’achever. Il se présenta au sultan. Il se fit reconnaître sous sa véritable identité et confondit ses six beaux-frères en montrant leurs lobes d’oreilles et leurs bouts d’orteils qu’il sortit de la musette. Haroun Rachid fut rétabli dans ses honneurs et son épouse recouvra sa fierté. De ces miracles, il resta trace. Ainsi les humains ont le lobe plus petit que le reste de l’oreille et le cinquième orteil plus petit que les autres. Quant à notre jambe, elle présente un creux derrière notre genou. C’est la partie qui fut tranchée pour nourrir l’aigle. Et le mollet est plus gros car c’est à cet endroit que le morceau fut recollé en hâte par le héros.
Nora Arceval, Contes et légendes d’Algérie © Flies France, 2005
22 mars 2009
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