Mercredi 25 Février 2009 17h04mn 22s
« ALIA MOSTEFAOUI »
M’Hamed ISSIAKHEM: « Les mille facettes de feu. »
par Djamel Amrani- Ecrivain et Poête
-El Watan – Mercredi 1er Décembre 1999″Un pays sans artistes est un pays mort », avait coutume de répéter M’Hamed Issiakhem, jamais de guerre lasse..Il a été un initiateur, un éveilleur, un réveilleur même : mais aussi et surtout un « créateur » de talent, sur cette aire féerique qu’est la palette, qui lui a valu une grande audience et une popularité bien au-delà de nos frontières. Je pense particulièrement à des pays comme l’Allemagne ou la Bulgarie, où il a laissé son sceau indélébile (prix George Dimitrov), ou le Vietnam qu’il a sillonné en pleine guerre destructive avec notre ami Khé.Quand il vous entretenait d’un tableau qu’il aimait, il vous rendait conscient de tout ce que la peinture dans son ensemble représente. Il avait une sorte d’ouverture extraordinaire : derrière ce dont il parlait, il embrassait ce qui donne à l’existence son prix, qui représente le dépassement même de l’existence et qui, quelquefois, en dégage le sens. Cela était un pouvoir extraordinaire, un pouvoir d’ailleurs qu’on retrouvait dans sa vie quotidienne. Il n’y avait pas chez lui que le champ des activités picturales : il y’avait aussi un contact direct qui éveillait, qui sollicitait.C’était un homme aimant la vie avec une espèce de fougue, de chaleur, de cordialité, de générosité : les soirées passées chez lui, rue Charles Valin (actuelle Chérif Zehar) dans la fraternité retrouvée avec Pouchkina, sa compagne des bons et mauvais jours, avec Katia leur fille, Kateb Yacine, Chérif Hamia, Saïd Ziad, Bachir Laliam, Khaled Benmiloud… Ces mêmes soirées répétées à Bains Romains (Hammamet) où Nadia, sa femme, mettait toujours une note de gaieté à nos dissipations effrénées.Il m’est impossible d’aller à la rencontre ou de résumer en quelques phrases un homme où il y avait tout et qu’il aurait fallu connaître dans sa totalité magique. Ainsi, je renonce à donner de lui une image qui risque d’être déformante. M’Hamed a su utiliser toutes les subtilités et les obscurités de ses modèles, de son imagination, de son esprit, de ses procédés et de sa réflexion morale. Ici, je ne peux que me référer à la beauté des formes de ses trois Transparence et à d’autres toiles où la grande fatigue, la maladie et peut-être la prescience de la mort lui tiennent lieu de lyre. Son autoportrait Chimiothérapie entre autres…Je garde au cœur ce qu’il y avait de plus beau en lui : l’homme bon, d’une impitoyable franchise et tour à tour cassant, véhément, pétulant, c’est-à-dire son expression la plus tendre et la plus émouvante. En fait, M’Hamed n’était pas un aboutissement, mais un commencement et un perpétuel renouvellement en art. Il reste à cet égard doublement une exception qui a réussi l’exploit de réconcilier la tragédie de l’homme avec la peinture. J’entends encore le rire de M’Hamed, généreux, communicatif, avec un rien d’ingénuité ou d’agressivité qui n’appartenait qu’à lui. J’entends sa parole, qui dévoile à tout instant les évidences secrètes, car la saveur du quotidien s’y mêle de façon sans pareille à la profondeur des choses.M’Hamed avait une manière bien à lui de susciter l’essentiel, qu’il parle d’un bon cru du Dahra ou de Mouloudji, des roses de Djemaâ Sarridj, d’une toile de Mokrani, d’un couscous maison chez Malika Ouzegane, ou d’un camping improvisé avec Kateb Yacine et Harikès (le guitariste) à Mantes-la-Jolie ou encore d’un week-end succulent à Taourirt Mimoun (Aït Yenni) au printemps 63, où nous étions allés Pouchkina, lui et moi rendre visite à Da Lmulud. »La longue cicatrice qui te noue /La volonté en abrégé /Le matin qui entaille la mer /La parole fécondée qui devient battement d’ailes /Le volcan contre l’écriture de ta chair qui nomme le sel /L’orge désoleillé de délire / L’île en gésine qui pleure dans ta main /Clair de terre qui t’habille. » (1)M’Hamed Issiakhem avait vraiment une sorte d’appétit de vie – il avait beaucoup voyagé, il avait été en contact avec des civilisations étrangères qu’il admirait, car il aimait l’art sous toutes ses formes, il aimait tout ce qui témoigne de la création humaine – lorsque donc il parlait des réalités concrètes, de certains lieux, de pays visités, il faisait là aussi apparaître sa conception, sa vision réconciliée du monde. Même lorsqu’il parlait d’un personnage ou d’un groupe de personnes, il faisait apparaître derrière lui ou derrière eux cette sorte d’humanitarisme dont il était habité.Sa peinture était éclairante. Il a porté jusqu’à la perfection son art de la manière la plus naturelle – tous les tourments de l’homme et du monde avec une mention, une propension particulière pour les opprimés et les déshérités – et la plus raffinée à la fois sans jamais tarir. Sa source d’inspiration et d’éloquence. Il est mort trop tôt, mais il a su s’accomplir dans les ténèbres, la sérénité, l’épanouissement, dans le tremblement de tous les cyclones.Un vrai peintre ! Encore une fois, les mots ici sont réducteurs, neutres ou galvaudés et perdent toute leur vertu incantatoire. Un vrai peintre qui portait en lui la certitude d’une grande œuvre sans défauts irritants ni facilité. Ainsi, il ne faut pas se contenter d’enfermer M’Hamed dans son seul carcan pictural avec des poncifs, des fantasmes et des inhibitions. C’était un artiste qui savait déchaîner ses mille facettes de feu, un chanteur à la voix juste, un guérilléro de la verve et du verbe, un poète inspiré et pur : une poésie dénuée dans son entier d’a priori et de présupposé. Chaque mot avait chez lui sa pesanteur, sa pointe acérée, sa ductilité. »Meure ta patience /Ton tison obscur qui émonde l’été /L’eau médiane hors les feuilles /La nuit exsangue de tes désirs. » (2)De cette personnalité immense et à nos yeux si peu disparue, il ne faut donc pas détacher le peintre pour l’installer dans un alvéole, car pour lui, vivre et peindre auront représenté la même référence à un absolu, comme une flamme partielle, passagère fait référence à l’absolu d’un feu unique et éternel. Tu connaissais la mort, parce que déjà adolescent tu l’avais frôlée, parce que tu aimais la vie. Enfin que tes passions du monde qui ont été de liberté et de justice rejoignent à présent celles de la terre – qui sont la brûlure des blés et du soleil. La bateau de ta vie, parti de Bains Romains (Hammamet) un 2 décembre 1985, largue de nouveau ses amarres. »L’eau qui germe /L’eau glacée en agonie et une prairie d’automne qui se désole /A contre ciel les meules de ta colère /Mais qui réchauffera ta mémoire sans brèche /Les mutilations du silence de ton silence. » (3)Djamel AMRANI- Poête -El Watan – Mercredi 1er Décembre 1999(1,2,3) extraits d’un recueil de poésie « Miroir d’obsidienne » que Djamal Amrani a dédié à la mémoire de M’Hamed Issiakhem.
25 février 2009
Non classé