Quand tout est permis, rien n’est possible » disait Georges Perec à propos du jazz.
Cette maxime résume toute l’oeuvre perecquienne: pas de créativité sans contraintes ! Et La disparition en est une illustration parfaite ! Écrire un roman policier sans utiliser la voyelle la plus fréquente de la langue française: le « e » n’est rien. Le génie, c’est que personne ne le remarque, ni dans la préface de Raymond Queneau, ni dans les quelques deux cents pages du roman. Perec avance masqué.
Mais rien n’est simple car tout foisonne chez Perec. La disparition n’est pas purement et simplement un roman lipogrammatique. C’est aussi un chassé-croisé symbolique: Ce « e » qui disparaît, c’est aussi en homophonie »Eux » ; le père de Perec mort des suites d’une blessure en 1940 et sa mère, disparue au cours d’une rafle en 1942 et morte à Auchwitz. La disparition est un acte (voir ci-contre) qui officialise la mort d’une maman. Mais cette disparition, c’est aussi celle de la rue où Perec passa son enfance : la rue Vilin, qui ne comporte pas de « e » dans son nom mais qui pourtant était en forme de « e". On trouve déjà chez Georges Perec le caractère oblique de sa pensée. Pas d’autobiographie directe, tout est suggéré, en diagonale. Et en hébreu, il n’y a pas de « e » dans le nom de Perec.
Le coup de génie de Perec est d’avoir transformé la règle qui est à l’origine de son récit en l’histoire même qui est narrée. Supprimer le « e » de la langue française, ni la langue, ni la narration ne semblent en souffrir. Mais cette histoire de la lettre volée permet d’en raconter une autre : Anton Voyl, le héros souffre d’un non – dit originel et d’une mémoire mutilée; ses tourments disparaîtraient s’il se retrouvait autre en retrouvant l’intégralité de son nom qui cesserait d’être voile pour devenir voyelle. « Il y avait un manquant. Il y avait un oubli, un blanc, un trou qu’aucun n’avait vu, n’avait su, n’avait pu, n’avait voulu voir. On avait disparu.Ça avait disparu. »
23 février 2009
Georges Perec