Qui ne se souvient pas de cette chanson que chante Gavroche dans Les misérables de Victor Hugo :
« Je suis tombé par terre,
C’est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C’est la faute à Rousseau. »
On serait tenté de croire que c’est là l’origine de cette expression, et pourtant il semblerait qu’elle a existé bien avant.
Pour en retrouver trace, il faut se resituer dans le contexte historique. Voltaire et Rousseau ont beaucoup influé sur la révolution, c’est pourquoi dans certains cercles, des royalistes, les en tenaient pour responsables. Bien évidemment quand on tient un bouc émissaire, il est facile et confortable de tout lui rejeter sur le dos. Ainsi une sorte d’usage est né d’accuser de tout et surtout de n’importe quoi, tour à tour Voltaire et Rousseau.
Si bien qu’à l’époque de la Restauration, le 9 février 1817, le 1er dimanche de Carême, ont lu dans toutes les églises de Paris un « Mandement de MM. Les vicaires généraux du chapitre métropolitain de Paris ». Celui-ci établissait que la culpabilité de la révolution revenait à une édition des oeuvres des deux philosophes, et que bien sûr il condamnait. Beranger eut vent de ça et en fit une chanson satirique, qui ne put être publiée que bien plus tard en 1834. Voici un extrait de cette chanson, dans laquelle les vicaires font peser sur Voltaire et Rousseau leurs vices cachés :
« Si tant de prélats mitrés
Successeurs du bon saint Pierre,
Au paradis sont entrés
Par Sodome et par Cythère,
Des clefs s’ils ont un trousseau,
C’est la faute à Rousseau ;
S’ils entrent par derrière,
C’est la faute à Voltaire. »
C’est là, la première occurrence attestée de notre expression. Pourtant, il est probable que ce ne soit pas celle-là qui ait rendu l’expression populaire. Ce serait plutôt une autre chanson, très proche de la première, tant par l’époque à laquelle elle a été créée, que par le sujet, la satire sur la religion. Elle est signée par Jean-François Chaponnière :
« Si le diable adroit et fin
À notre première mère
Insinua son venin,
C’est la faute à Voltaire.
Si le genre humain dans l’eau,
Pour expier son offense,
Termina son existence,
C’est la faute à Rousseau. »
Pour en revenir à Victor Hugo, il est très probable que la chanson de son Gavroche soit de lui, bien qu’inspirée du modèle Beranger/Chaponnière. On connaît la méthode de travail d’Hugo, écrire beaucoup pour ne sélectionner que le meilleur.
Et pour cette chanson il n’a pas failli à la règle. On a retrouvé pas moins de sept couplets et seize autres rimes non utilisés, dans ses brouillons. Un couplet attire notamment notre attention :
« Je n’aime pas l’eau claire,
C’est la faute à Voltaire,
J’aime le curaçao,
C’est la faute à Rousseau. »
À la lecture de celui-ci, on ne peut s’empêcher de penser à une autre chanson :
« J’ai deux amis,
La téquila et le whisky,
La téquila quand t’es pas là,
Et le whisky quand t’es parti. »
De là à y voir un lien de parenté, c’est une autre histoire…
Source : Qu’importe le flacon... de Jean-Claude Bologne
Rédigé par Mario, le jeudi 08 mai 2008 à 15h00
12 février 2009
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