GERMINAL
Première partie chapitre 1 : l’arrivée d’Etienne
De « Dans la plaine rase… » à « …qu’on ne voyait point. »
Introduction
Ce texte se situe au début du roman, publié en 1885. Ce roman évoque les luttes sociales de la fin du 2nd Empire auxquelles s’ajoutent les événements de 1880 et 1884 (révoltes des mineurs). C’est le début du texte de la 1e partie du roman qui en comporte 7. Le 1er chapitre débute avec l’entrée en scène du héros, personnage anonyme pour l’instant, dans un monde hostile. On le voit traverser le paysage glacé sous une nuit sans étoile. Le texte est constitué de 3 paragraphes consacrés à la description de l’identification des lieux et des réflexions et actions du personnage.
Nous allons découvrir ce personnage anonyme puis ce paysage hostile observé par l’homme et enfin comment ce paysage se transforme en une vision fantastique.
Lecture
Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n’avait la sensation de l’immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d’avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d’arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d’une jetée, au milieu de l’embrun aveuglant des ténèbres.
L’homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d’un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup; et il le serrait contre ses flancs, tantôt d’un coude, tantôt de l’autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d’est faisaient saigner. Une seule idée occupait sa tête vide d’ouvrier sans travail et sans gîte, l’espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour. Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque sur la gauche à deux kilomètres de Montsou, il aperçut des feux rouges, trois brasiers brûlant au plein air, et comme suspendus. D’abord, il hésita, pris de crainte; puis, il ne put résister au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains.
Un chemin creux s’enfonçait. Tout disparut. L’homme avait à droite une palissade, quelque mur de grosses planches fermant une voie ferrée; tandis qu’un talus d’herbe s’élevait à gauche, surmonté de pignons confus, d’une vision de village aux toitures basses et uniformes.
Il fit environ deux cents pas. Brusquement, à un coude du chemin, les feux reparurent près de lui, sans qu’il comprît davantage comment ils brûlaient si haut dans le ciel mort, pareils à des lunes fumeuses. Mais, au ras du sol, un autre spectacle venait de l’arrêter. C’était une masse lourde, un tas écrasé de constructions, d’où se dressait la silhouette d’une cheminée d’usine; de rares lueurs sortaient des fenêtres encrassées, cinq ou six lanternes tristes étaient pendues dehors, à des charpentes dont les bois noircis alignaient vaguement des profils de tréteaux gigantesques; et, de cette apparition fantastique, noyée de nuit et de fumée, une seule voix montait, la respiration grosse et longue d’un échappement de vapeur, qu’on ne voyait point.
Etude I. Un personnage anonyme :
- Le personnage :
» l’homme » (x 4), l. 2, 13, 30, 48. » il » (plusieurs fois). Le personnage est évoqué par des sujets qui ne fournissent presque aucune information. Le lecteur se déplace dans le paysage avec le personnage. - Identité :
Il est une victime et il est démuni :
- » seul » (l.3).
- » coton aminci » (l.14, 15), il est pauvre (ses habits).
- » faisaient saigner » (l. 20), il souffre (ses mains).
- » ouvrier sans travail et sans gîte » (l.21), situation sociale très défavorable ? exclusion : chômeur qui ne pense plus ( » tête vide « ).
Transition : Le personnage est en marche dans un espace qui lui est hostile.
II. Un espace hostile :
- Géographie des lieux :
Toponymie des lieux : » la plaine rase « , » grande route de Marchiennes à Montsou « , » dix kilomètres de pavé « , » champs de betteraves « . De la ligne 1 à la ligne 9, on a une description de la platitude du paysage. De la ligne 13 à la ligne 28, la description montre l’aspect glacé du paysage. - Un paysage industriel :
» aucune ombre d’arbre » (l. 10), » grosses planches fermant une voie ferrée » (l.31).
Plus loin, il rencontre des éléments de verticalité : » pignons » (l.33), » constructions » (l.40), » cheminée d’usine » (l.40), » cinq ou six lanternes » (l. 42), … - Identification difficile :
Le paysage est pauvre, il est » très obscur » (l.2) et sombre ? métaphore » épaisseur d’encre « , la nuit est comparée à de l’encre.
La » tête vide d’ouvrier » perçoit confusément le paysage. Il ne distingue pas ce qui soutient les 3 feux et ne comprend pas : » comment ils brûlaient … » (l.36, 37).
Transition : L’incompréhension du personnage fait alors apparaître la dimension fantastique du paysage.
III. Une vision fantastique :
- Identification difficile :
Phrases négatives dans le 1er paragraphe, restrictives (x 2) l.6. Le paysage est obscur.
» pignons confus » (l.33), » cheminée » = » silhouette » (l.40).
Le site est vu à travers le regard déformant d’un personnage épuisé. - Transformation inquiétante :
On a une image maritime grâce à la platitude du paysage ? métaphore.
Le » vent » est un fouet ? image de la souffrance.
Le feu est comme suspendu ? vision de l’enfer, de la réalité de la mine.
Ce dévoilement inattendu de la nature du site souligne son caractère inhumain. - Les symboles de la mort :
» apparition fantastique « , animalisation du paysage.
» noyée de nuit et de fumée » (l.45) ? impression d’étouffement.
Personnification de la bâtisse : » voix « , » respiration grosse et longue «
La dernière phrase produit un effet de rupture ? retour à la réalité, ce qui est paradoxal car après une description aussi imprécise l’inconnu reconnaît une fosse.
Conclusion Derrière cette description réaliste, ce premier texte du début du roman propose une vision fantastique des lieux car leur identification reste incertaine tout au long du texte, et symbolique parce que le passage oppose un personnage seul et démuni à un monde hostile et glacé. Ainsi l’homme apparaît bien faible pour triompher de la bête dont le souffle roque est prêt à le dévorer. C’est un contraste avec la dernière vision d’Etienne.
Ce texte est plus visionnaire que réaliste.
4 février 2009
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