Contrepèterie
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La contrepèterie (parfois appelée antistrophe) est un jeu de mots qui consiste à permuter certains phonèmes ou certaines syllabes d’une phrase, pour obtenir une nouvelle phrase, avec souvent un sens cocasse, voire grivois. On peut aussi dire qu’il s’agit de « l’art de décaler les sons que débite notre bouche », cette définition contenant elle-même deux contrepèteries.
Exemple : « Mon oncle perd courage devant les amas de patentes » devient, en permutant le p et le m, « Mon oncle perd courage devant les appâts de ma tante ».
Le journal Le Canard enchaîné est célèbre pour sa sélection hebdomadaire de contrepèteries, dans la rubrique intitulée Sur l’Album de la Comtesse créée par Yvan Audouard, reprise notamment par Henri Monier et Luc Étienne (qui fut Régent d’Astropétique au Collège de ‘Pataphysique) puis depuis 1984Joël Martin. par
L’usage veut qu’on ne donne jamais la solution d’une contrepèterie, chacun devant la trouver lui-même. Le faire comme au début de ce paragraphe serait en société une très grave faute de goût. On dit qu’il faut être trois pour apprécier une contrepèterie : celui qui l’énonce, celui qui la comprend, et celui qui ne la comprend pas.
Notons bien que c’est le son et non l’orthographe qui compte et qu’aucune femme n’aurait donc lieu de se plaindre « de ne pas connaître d’orgie sous un tel marasme »[3]. Ajoutons aussi que cette correspondance de sons doit être stricte ; des cas tels que « J’ai une engelure qui m’empêche de fuir ! » restent exceptionnels.
Historique
XVIe siècle
Qui pouvait bien être à l’origine d’un tel procédé si ce n’est l’illustre François Rabelais ? Ainsi paraît en 1532 avec son Pantagruel les deux premiers exemples connus du genre : la célèbre « femme folle à la messe » ainsi que l’équivoque sur « À Beaumont-le-Vicomte »
Quarante ans plus tard, le bourguignon Étienne Tabourot, sieur des Accords, publie les Bigarrures et touches, premier ouvrage comportant un article traitant exclusivement du sujet. On y retrouve la première référence au terme « contrepéterie », jusque là désignée par les appellations « antistrophe » ou « équivoque »
XXe siècle
On ne retrouve plus de trace écrite évoquant le contrepet pendant plusieurs siècles jusqu’à la parution confidentielle du Trésor des équivoques, antistrophes et contrepéteries de Jacques Oncial en 1909, premier traité lui étant intégralement consacré ; la tradition orale aura ainsi permis à cet art d’arriver jusqu’à nous, pour notre plus grand bonheur ! Citons également la publication en 1924 de T.S.V.P., recueil de plaisanteries relevées par J.-W. Bienstock et Curnonsky dont l’édition hors commerce comporte un chapitre supplémentaire intitulé « Le Petit Jeu badin des contrepetteries », recensant quelques dizaines de contrepèteries
C’est en 1934 que paraît un des piliers de la littérature contrapétique : La Redoute des Contrepèteries. Louis Perceau y a compilé et trié des centaines de contrepèteries succulentes issues de la tradition orale ainsi que de sa propre composition. C’est dans cet ouvrage que l’on peut retrouver nombre de classiques tels que « Les nouilles cuisent au jus de canne », qui ouvre le bal en fanfare. En 1951, l’hebdomadaire Le Canard enchaîné contribue activement à la popularité de la contrepèterie grâce à Henri Monier qui y crée la première — et à ce jour unique — rubrique lui étant spécifiquement consacré : Sur l’Album de la Comtesse. Quelques années plus tard l’un des secrétaires de la Comtesse publie la seconde œuvre majeure du genre : « L’art du contrepet » de Luc Étienne en 1957, dont le sous-titre est « Petit Traité à l’usage des Amateurs pour résoudre les Contrepèteries proposées et en inventer de nouvelles ». En plus d’introduire le terme de « contrepet », cet ouvrage lui donnera réellement ses lettres de noblesse en en proposant une étude méthodique et pertinente, en plus de nombreux exemples inédits dont la célèbre « Je vous laisse le choix dans la date ».
La contrepèterie dans l’histoire littéraire
- de François Rabelais, qu’on dit être l’inventeur du procédé :
- « Panurge disoit qu’il n’y avait qu’une antistrophe entre femme folle à la messe et femme molle à la fesse. »
- « Équivoquez sur À Beaumont-le-Vicomte »
- d’Estienne Tabourot (1547-1590)[5] :
- « Toutes les jeunes filles doutent de leur foy. »
- « Goûtez-moi cette farce ! »
- « La noire me fuyt »
- « Cette femme est une lieuse de chardons. »
- de Victor Hugo
- « J’ai fait le bossu cocu, j’ai fait le beau cul cossu. » De plus, sont passés à la postérité des exemples (supposés) involontaires, tout de son cru, comme :
- « Le vaincu de son cœur ».
- plus près de nous, Benjamin Péret publie un ouvrage en 1928 :
- « Les rouilles encagées ».
- de Boris Vian :
- « le peintre émet des avis sur les nus »
- « Colin [...] tailla en biseau le coin de ses paupières mates. »
- Robert Desnos en écrivit un certain nombre dans la section sur Rrose Sélavy du recueil Corps et biens, souvent en en donnant la solution :
- « Dans un temple en stuc de pomme le pasteur distillait le suc des psaumes. »
- « Rrose Sélavy connaît bien le marchand du sel. »
Le premier recueil de contrepèteries est le rarissime « Trésor des équivoques, antistrophes et contrepéteries » de Jacques Oncial, paru en 1909 à quelques 300 exemplaires. Vient ensuite en 1934La Redoute des contrepèteries » de Louis Perceau qui en énumère des centaines, dont bon nombre reprises de l’ouvrage de Jacques Oncial. « Sur l’Album de la Comtesse », créé après guerre dans Le Canard enchaîné, a également joué un grand rôle pour la diffusion de cet art de décaler les sons. Il publia un jour un poème qui présentait ainsi deux niveaux de lecture. Voici le premier quatrain : «
- « L’hommage de leurs vers qu’à l’envi les poètes
- A la femme déçue offrent toujours ardents
- Flatte certes le but mais n’apaise la quête :
- L’attente a des plaisirs qu’on ne fait qu’un moment. »
La contrepèterie sur Radio Londres
Radio Londres, envoyait à la Résistance des messages, phrases diverses, au sens convenu.
Le colonel Rémy, éminente personnalité de la France libre, raconte que, devant choisir de telles phrases codées à lire sur Radio Londres pour avertir la Résistance, il se trouva être, avec ses amis, en possession de La Redoute des contrepèteries.
Ils eurent l’idée de se servir de ce livre. Et ils étaient en joie quand ils entendaient la charmante speakerine de la radio britannique lire avec soin, ton neutre et parfaite diction des phrases, certes au sens codé convenu, mais qui l’aurait fait rougir si elle avait su ce qu’elles pouvaient signifier en tant que contrepèteries.
Il faut dire qu’ils n’avaient pas beaucoup d’occasions de se distraire. La contrepèterie est venue à leur aide dans ces moments difficiles.
Sur l’Album de la Comtesse
Quelques contrepèteries
On remarque que, bien souvent, les contrepèteries font allusion au sexe. Le mot vit ne survit du reste en français que dans les contrepèteries et les chansons paillardes. Un exemple de contrepèterie sans grivoiserie est ce slogan du temps de l’Occupation : « Il ne faut plus dire Métropolitain mais Pétain mollit trop » ; s’agissant d’un slogan, la solution était donnée. De même, les opposants au mouvement du colonel de La Rocque « Les Croix-de-Feu » eurent tôt fait d’appeler les membres de ce parti « Les Froides Queues ».
Joël Martin a néanmoins écrit plusieurs chapitres de contrepèteries « de salon » dans sa « Bible du contrepet ». D’autres circulent sur Internet, par exemple « Amène le porc ».
Certains noms propres sont une contrepèterie :
- Thierry d’Argenlieu
- Madame Vigée-Lebrun.
- Lycée Ampère (lycée de Lyon)
- École nationale supérieure des mines de Paris
- Jules Verne
- Alphonse de Lamartine
- de Gaulle
- Jean-Marie Le Pen (définition de Jean Cocteau)
- le groupe de rap NTM
- Paul Piché
Voire des marques, des slogans publicitaires :
- Mammouth écrase les prix (Coluche)
- Nous, on vit Auchan
- L’effet Kiss Cool
- La Pie qui chante
- La vache qui rit
- La Banque postale (sans mots tabous, contrairement à « En pull Lacoste »)
Des revues :
- Nous Deux (revue de romans-photos à l’eau de rose)
- Le Matin de Paris
- Après l’élection de Jacques Peyrat à la mairie de Nice, un célèbre quotidien régional titra cette double contrepèterie :
- Peyrat de Nice : après le doute, la joie
Des films :
- Conan le Barbare
- La colline des bottes (western avec Terence Hill),
Des expression anodines :
- Salut Fred !
- Salut Patrick !
- Le choix dans la date.
- Salut les Copains !
- Mots Fléchés.
- Parachute.
- Barrette de shit.
- Il faut prendre les choses en riant
Et pour terminer deux contrepèteries que les Français rapportent avec raillerie comme étant d’origine belge, en référence à la supposée naïveté de leurs voisins :
- Il fait beau et chaud.
- Dur, dur.
Amis du contrepet
Louis Perceau
Louis Perceau rédigea jadis un ouvrage de référence sur le genre : « La Redoute des Contrepèteries ». « Vous avez lu Perceau » est une phrase qu’on aime à se dire entre initiés.
Luc Étienne
Comtesse du Canard pendant vingt-sept ans. Luc Étienne se fit le spécialiste de cet art, tout en avouant avoir lu Perceau. Il a rédigé entre autres œuvres (« La méthode à Mimile », « l’Art de la charade à tiroirs ») un « Art du contrepet » qui fait encore référence aujourd’hui, et qui contient des passages fort travaillés comme le discours d’un locataire contenant les phrases suivantes :
- « Elle eut peur de mon mot de guichet :
- Les concierges n’aiment pas être éveillées brutalement.
- Mais comme elle insistait pour aspirer mon terme,
- Je laissai travailler ma bile et me sentis détesté.
- Une sorte de rage me tenait lieu de verve »
Le tout se termine par :
- « Elle me dit : Après ce marc, faudrait une bonne dînette.
- Je sentis alors l’avidité des concierges. »
Il donne également des conseils : de même que le charme des mots croisés réside dans le fait d’y donner des définitions non banales, il faut une fois le contrepet trouvé lui trouver une courte introduction aussi appropriée à l’innocente phrase de base qu’à sa variante sulfureuse. Ainsi, sur les mots « roussette » et « pain », l’introduction suivante ne fait que rendre plus savoureuse la contrepèterie :
- « Mais je ne pêche pas, monsieur le curé ! J’agace les roussettes avec mes bouts de pain. »
Et sur « affale » et « bazar », quoi de plus plaisant que ces cinq mots d’introduction ?
- « Épuisée par une longue queue, la pauvre femme s’affale devant le bazar. »
Jacques Antel
Fidèle disciple de Luc Étienne, Jacques Antel est régent de la chaire de contrepet du Collège de ‘Pataphysique depuis le 20 avril 2000. Il est l’auteur du classique « Le tout de mon cru » présentant plus de 500 contrepèteries inédites (à l’exception notable de celle constituant le titre). Sa spécialité est la chasse aux contrepèteries involontaires, comme dans ses ouvrages « Titres fourrés » et de « Ceux que la muse habite » s’attaquant respectivement aux articles journalistiques et à la littérature française.
Joël Martin
Successeur de Luc Étienne au titre de Comtesse du Canard, Joël Martin est l’auteur de nombreuses publications toutes plus contrepétillantes les unes que les autres, dont « La bible du contrepet », « Le dico de la contrepèterie » et, plus récemment, un « Que sais-je » sur la contrepèterie.
Laurent Gerra & Jean-Jacques Peroni
Lors de chroniques satiriques radiodiffusées, (entre autres Le Grand Juron durant la campagne présidentielle de 2007), l’imitateur humoriste Laurent Gerra et son co-auteur Jean-Jacques PeroniJack Lang, « la muse m’habite », « toute la gauche qui pense et qui rit » ou « Je voudrais qu’il m’envoie dans la culture », et par l’académicien, ancien président de la République Valéry Giscard d’Estaing, « l’Afrique est bonne hôtesse » ou « le bout du globe s’appelle le zan » [9]. Une autre prononcée avec la voix de Jacques Chirac est « Tulle, en Corrèze » (ce qui évoque certaines pratiques impliquant Maurice Thorez). Précisons que ces contrepèteries ne sont pas inédites, elles avaient déjà été publiées par l’un des contrepétomanes cités plus haut. ont régulièrement recours à la contrepèterie placée le plus souvent dans la bouche d’hommes politiques dont la pratique insoupçonnée de la calembredaine grivoise rajoute à l’effet comique. Les plus fameuses sont prononcées par l’inventeur de la Fête de la musique, ex-Ministre de la Culture socialiste,
Armelle Finard
Armelle Finard est l’auteur de plusieurs recueils de contrepèteries ces dernières années. Joël Martin se demande, en rapport à l’un de ses ouvrages, « si l’éditeur bêle devant Armande » ou « si Finard a une grosse paye ».
1 janvier 2009
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