Samedi 13 Décembre 2008 22h32mn 39s
Auteur : DJILALI BENBRAHIL (IP: 41.201.115.54 , 41.201.115.54)
E-mail : bendji1er@yahoo.fr
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Commentaire:
Les événements qui vont suivre étant fictifs, toute ressemblance avec des personnages ou des faits réels n’est que pure coïncidence.
EXRAITS de AAROUBI.
EL GUELLAÂ.
Il me souvient d’un jour où n’étant pas très en forme, le moral à zéro, je décidais de suivre le conseil d’un ami et d’aller vers une contrée pas très
éloignée de chez moi pour consulter une vielle dame, cartomancienne et exorciseuse de démons, réputée pour ses résultats fabuleux. Elle ne recevait que sur rendez-vous, et ne traitait que les cas désespérés pour défier la science, les médecins et les psychiatres.
Comme je ne pouvais évidemment pas cacher mon projet à Fichet puisque nous sommes comme cul et chemise et qu’il est toujours au courant de tout ce qui me concerne, grâce à ses Satellites, je décidais de choisir moi-même le moment opportun pour aborder le sujet.
Je pensais bêtement, qu’en organisant une petite soirée intime et arrosée, j’allais tromper sa vigilance. Le soir venu, ne pouvant mettre de l’ordre dans mes idées, j’entrepris de réduire le désordre régnant dans la salle où j’allais l’affronter. Pour gagner du temps et ne pas trop réfléchir au comment de la chose, je me mis à dresser la table en choisissant les meilleurs couverts argentés, avec une panoplie de verres en cristaux, des soucoupes en porcelaine pleines d’amendes, de pistaches, de cacahuètes, de petits-fours et d’autres amuse-gueule. Il y avait aussi une riche variété de fromages, du rouge, du blanc, du camembert, et même du pané, qui, comme le disait si bien la Pub : « c’était plus que du fromage, c’était de l’amitié ».
Après quoi, pour éclairer la pénombre d’une lumière tamisée, je plaçais un peu partout dans la pièce des bougies aromatisées aux huiles essentielles dégageant des fragrances enivrantes.
C’est dans cette atmosphère de rêve que je débouchais la première bouteille d’un grand cru d’appellation d’origine contrôlée, réservé aux grandes occasions. Je dégustais le calice en compagnie de Brel, d’Aznavour, de Ferré, d’Ait Menguelet, d’Abdelhalim et de Oum keltoum, pour me détendre et me relaxer avant de franchir le Rubicon. Quand vint enfin le moment d’aborder les choses sérieuses, ma langue s’alourdit pendant que les mots et les phrases s’entremêlaient dans ma tête sans parvenir à sortir de ma bouche devenue subitement pâteuse.
Dans son for intérieur, Fichet jubilait car il savait parfaitement bien que je bredouillerais quelques sons inaudibles avant de lui céder l’initiative du débat et c’est ce qu’il adore le plus.
-« Il parait que Monsieur envisage de consulter une « Guellâa» ! (femme qui enlève le mauvais sort) pour mettre un terme à ses souffrances !».
Je ne pipe pas mot mais je l’entrevois à travers les volutes de fumées se caresser le menton, Je ne sais pas pourquoi il me rappelle étrangement Ahmed Abd el Gawwad, le fameux personnage principal de la trilogie de Naguib Mahfoud, avant d’enchainer,
-« Alors monsieur -Je sais tout- ton fameux savoir fond comme neige au soleil ! Où sont donc passés tous tes amis, les romanciers, les sociologues, les savants les érudits, les philosophes et autres exégètes…Tout cela c’est du vent, du pipeau, du Heu, de la merde quoi ! …Que c’est beau de t’entendre palabrer des heures durant à propos de la science et des ses bienfaits ainsi que de la justesse des jugements des savants et des scientifiques… N’est ce pas toi qui répète tout le temps que le premier verset Coranique n’est autre que : Lis, et qu’en conséquence de quoi, toute solution se trouve dans la « lecture » et non dans des pratiques charlatanesques et rétrogrades d’un autre âge… Où sont donc passées toutes tes convictions d’homme rationnel et cartésien, puisque tu envisages de t’en remettre à une gueuse de Guellâa…Franchement, qui de nous deux est Âaroubi ?
Tu ressembles à ce pleutre individu qui, dans une déclaration épistolaire rédigée dans une ambiance douillette près d’une cheminée, promet à sa bien aimée de traverser la mer à la nage, de grimper les montagnes à pieds nus, de s’aventurer dans la brousse en affrontant les fauves les plus redoutables et de se sacrifier pour elle en donnant sa vie pour la rendre heureuse….Seulement, comme il te ressemble à s’y méprendre, il termine sa missive par un nota-benné où il précise : A demain, s’il ne pleut pas. Comme quoi… »
Comme je n’en pouvais plus, je prétextais un besoin urgent pour me lever et aller me soulager en profitant pour respirer un bon coup car je commençais à suffoquer. Il lisait en moi comme dans un livre ouvert et il me laissa tirer une autre bouteille, que je me promettais de vider jusqu’à la lie, implorant Bacchus pour qu’il me précipite le plus tôt possible dans les bras de Morphée.
-« Défends-toi vieux lâche ! Appelle donc tes relations pour qu’elles te sortent de ce boui-boui où tu t’es fourré…
Comme je sais que tu ne tiens pas à l’alcool et que tu ne tarderas pas à sombrer dans les ténèbres pour n’émerger qu’a l’aube, je vais profiter de ces petits moments de lucidité pour te dire ce que je pense de ta Guellâa.
Crois-moi, elle n’a pas volé sa réputation, et tu dois savoir qu’il lui arrive dés fois d’aller bien au delà de ce que l’on peut attendre d’elle.
En effet, un jour, une bonne dame que nous nommerons Bedra, est allée la consulter pour avoir des nouvelles de son mari qui avait quitté le domicile conjugal depuis quelques années déjà, sans donner de nouvelles. La pauvre dame ne savait plus à quel saint se vouer. Devait-elle se considérer comme veuve, comme répudiée… Ses parents la pressèrent d’engager une procédure administrative pour se libérer et pouvoir enfin se remarier, d’autant plus que les quatre années requises pour statuer sur la disparition définitive étaient déjà écoulées.
C’est alors que l’une des ses connaissances lui parla d’une exorciseuse, faiseuse de miracles, qui allait l’affranchir définitivement. Rendez vous fut donc prit.
Pour la première entrevue, la Guellaa se contenta de quelques renseignements utiles à ses investigations en procédant à un interrogatoire en bonne et due forme.
Après avoir invoqué les saints, les Devs, les péris et les maitres djinns, dans des incantations abracadabrantes, elle décida qu’une seconde entrevue serait nécessaire et devrait avoir lieu dans les quarante huit heures, à condition que la dame revienne avec un habit du disparu. Et comme notre pauvre bougre n’avait rien emporté avec lui, la requête était facile à exaucer.
Lors de la seconde rencontre qui eut lieu deux jours après, la sorcière s’empara de la veste que lui avait tendue sa cliente et disparut pendant quelques minutes, qui parurent une éternité à Bedra et à sa tante qui l’accompagnait. Quand enfin elle réapparut, on pouvait lire sur son visage un sourire annonciateur de bonnes nouvelles. Elle commença d’abord par rendre grâce à son Deva adoré, avant de prédire un retour prochain de la brebis égarée. Elle raviva la flamme presque éteinte du brasier placé à sa droite en y jetant une poignée d’encens, tout en reprenant ses incantations. Le manège dura quelques instants pendant lesquels notre pauvre Bedra avait le cul entre deux chaises ; l’angoisse et l’espoir… »
J’étais complètement in. Allongé sur un canapé, face à un mur, devenu subitement, par les vapeurs du vin et par la magie du narrateur, écran plasma géant où défilaient devant moi des images en haute définition d’un film palpitant. Je dois lui reconnaitre ce don de conteur qui me rappelle bizarrement ces fameuses aventures mystérieuses radiodiffusées jadis sur RMC, et racontées avec talent par l’émouvant Pierre Bellemare. C’était tellement vrai que je n’osais même pas bouger de peur de le distraire, et c’est ainsi qu’il reprit…
« Je te dispense de commentaires. D’ailleurs, soit dit en passant, quand tu voudras me flatter, trouve autre chose, car pour ta gouverne, saches que si Pierre Bellemare s’est converti depuis longtemps dans le commerce par correspondance dans télé-achat c’est qu’il n’est pas aussi fortiche que cela…
Revenons à nos moutons si tu veux bien… Je disais donc que la Chouaffa restitua le veston à sa cliente en lui adjoignant une fiole, à embout vaporisant, d’une mixture sacrée fabriquée spécialement pour elle par – sidi je ne sais plus qui – ainsi qu’un sachet de grains pilés. La bonne dame, en rentrant chez elle, devrait suspendre la veste de son mari sur la porte d’entrée de la chambre à coucher en la vaporisant. Seulement, la vaporisation, pour être efficace, devrait se faire à l’aube du matin du premier jour, puis à l’aube du soir du second, ensuite à l’aube du matin du troisième et ainsi de suite jusqu’au septième jour. Au bout du huitième jour elle devrait répandre les grains pilés dans les différentes poches du veston et attendre trois jours pour reprendre le cérémonial des aubes. Après cela, il faudrait attendre deux ou trois semaines pour voir le miracle se réaliser…
Notre bonne dame était tellement emballée qu’elle ne put se contenir. Elle baisa les mains de sa bienfaitrice en la remerciant par des courbettes répétées à vous briser le dos. Avant de quitter la salle, elle s’enquit des honoraires et fut surprise d’apprendre que la vénérée Hadja ne se faisait pas payer pour ses prestations puisqu’elle était dévouée corps et âme à la bonne cause et que sa rétribution l’attendrait dans un monde meilleur.
En revanche, elle se faisait rembourser les frais, de déplacement des Djinns, qui effectuaient des vols long courrier sans aucune assurance ni couverture sociale et comme les voyages n’étaient pas gratos, c’était elle qui casquait, et à l’avance, les deux cent cinquante euros nécessaires aux fastidieux et ennuyeux voyages célestes. J’ai oublié de préciser que Hadja ne fumait que du haschich et n’encaissait qu’en euros ».
Comme j’éclatais de rire à son calembour, il me décocha un œil furibard et continua sur sa lancée
« Trois semaines passèrent dans l’attente, l’angoisse et les faux espoirs sans que rien ne vienne rassurer notre bonne dame. Pourtant, le dix-huitième jour, un fait insolite se produisit. Il devait être quinze heures quand stationna devant la maison une voiture immatriculée à l’étranger pleine de valises et de cadeaux. Le conducteur, un bel homme de plus d’un mètre quatre vingt, aux yeux bleus et aux cheveux blonds, y descendit en interpellant à haute voix la maitresse des céans : -Bedra, Bedra, Bedra… ouvre, c’est moi !-
Bedra n’eut pas le temps de mettre le nez dehors qu’elle trouva l’étranger entouré de badauds et de curieux survenus d’on ne sait où. Figée sur le perron, elle demeura coite ne comprenant rien à ce qui arrivait, surtout qu’elle ne reconnut pas l’homme qui ne cessait de lui sourire et de la saluer de la main. Son émotion passée, elle osa enfin demander des explications puisqu’elle ne reconnaissait pas le nouveau venu.
- Mais enfin que me voulez vous ? Je ne vous connais pas et il n’est pas de mes habitudes de parler à des étrangers et encore moins de les recevoir.-
Un brouhaha emplit toute la ruelle et les petites gens commencèrent déjà leur sport favori : El manchar. Heureusement que le doyen du bourg n’était pas loin et prit sur lui d’éclaircir les choses.
Après quelques palabres en aparté avec l’étranger il revint vers Bedra et l’interpella devant témoins et sans la ménager.
- Ce monsieur prétend que c’est toi qui l’a fait mander et qu’il vient d’un pays lointain après avoir pris le bateau pendant une bonne semaine. Il précise que c’est un grand moine zen qui lui confié cette mission et qu’il était très étonné par la tournure des événements.-
Livide, Bedra, fut brusquement prise d’un rire nerveux qui la secoua comme un spasme et qui faillit la faire tomber à la renverse, ne fut-ce l’intervention inopinée d’une voisine qui se trouvait à proximité et qui la soutint en l’aidant à s’assoir sur les marches de la maison tout en lui tamponnant le front ruisselant de sueur. Reprenant ses esprits, et réalisant la gravité de la situation, elle se releva en repoussant brusquement cette voisine qui, elle le savait, ne la portait pas dans son cœur et profiterait de la situation pour l’humilier et la ridiculiser. »
J’étais tellement plongé dans le psychodrame que je me surpris à songer aux moyens de sortir la pauvre Bedra de ce mauvais pas. Fichet, de son coté prenait tout son temps et trouvait un malin plaisir à faire durer le suspense et à me faire languir. N’en pouvant plus de gigoter sur place comme un forcené, je m’entendis crier : Accouches Merde !
Feignant l’indifférent, il continua sur un ton monocorde :
« Face à la plèbe qui lui dardait un œil furibond, et même fripon, elle releva le menton décidé à laver l’affront, et d’un pas ferme et décidé, elle se dirigea vers celui par qui étaient venus ses problèmes et sans crier gare, elle le gifla à toute volée en le sommant d’éclaircir sa lanterne et celle de toute l’assistance s’il ne voulait pas que cette histoire se terminât dans un bain de sang.
L’étranger expliqua qu’il avait fait un même rêve trois fois de suite, et que c’est en consultant un spécialiste de l’interprétation des songes qu’il apprit qu’il devait se rendre dans un temple de bouddhistes où l’attendait un moine chargé d’un message pour lui. Après quelques hésitations, compréhensibles du reste, il décida de se rendre au temple pour mettre fin à ces cauchemars qui le hantaient à le rendre dingue. Et c’est ainsi qu’il apprit par la bouche d’un moine zen, qu’il était écrit qu’il devrait aller vivre son bonheur dans un pays lointain où l’attendait depuis quelques temps déjà son âme sœur. Le moine précisa qu’il devrait suivre à la lettre les instructions qui se trouvaient dans l’enveloppe qu’il lui remit tout en lui déconseillant de se défiler car cette révélation ne se faisait qu’une fois par siècle et que s’il avait été choisi pour cette mission, c’est que son destin d’élu était tracé à l’avance et qu’il ne pourrait en aucun cas y échapper de peur de le payer de sa vie.
Dans l’enveloppe que lui remit le prêtre, en plus d’une feuille de route traçant l’itinéraire du voyage dans les moindres détails, il trouva assez d’argent pour entreprendre un long voyage ainsi que les clés et les papiers d’une voiture parquée dans la cour du temple.
L’assistance était médusée par cette histoire sortie directement d’un conte de faits irréels, pourtant, réalité oblige, on ne pouvait accorder de crédit à ces élucubrations sans se faire passer pour une tête de linotte. Et c’est alors que tout faillit déraper quand des voix provenant de la mêlée scandaient haut et fort : A mort l’imposteur, à mort l’apostat.
Le raffut provoqué par les plébéiens chauffés à blanc attira l’attention d’une voiture de police en ronde de routine. L’intervention des flics fut salutaire et sauva in extrémis le faux prophète d’un lynchage assuré. Après une première vérification d’usage, ils décidèrent de l’emmener au poste de police pour le soustraire à la vindicte populaire et pour tenter d’élucider ce mystère.
L’inspecteur Fakou, spécialiste à ses heures perdues en sciences occultes, assisté d’un homme de cultes, décida de convoquer Bedra pour démêler un écheveau d’histoires tirées par les cheveux.
Après avoir lu et relu la feuille de route de l’étranger et après avoir entendu la version de Bedra, l’inspecteur décida de la relâcher et de garder à vue le bonhomme en attendant de faire appel à une consultante occasionnelle qu’il sollicitait de temps à autres pour l’aider à dénouer les intrigues compliquées.
Le lendemain, la médium se présenta au commissariat de police et fut reçue avec tous les égards dus à son prestige et à son rang. Fakou la briefa et fit appeler Bedra.
A la vue de cette dernière, la consultante fut toute émue et comme rien n’échappe à ce fin limier d’inspecteur, elle ne put cacher son émoi plus longtemps et le mit au parfum de son histoire avec elle.
Pourtant, il y avait un os à toute cette histoire. Que venait faire l’étranger dans cet imbroglio ?
Finalement, c’est l’inspecteur de police qui perça l’énigme. Connaissant tout le monde par son nom, Fakou crut trouver la faille et pour s’en assurer il demanda à Bedra de lui parler de la provenance de la veste de son mari disparu. Et subitement, le voile fut levé quand ils apprirent que le disparu avait l’habitude d’acheter ses vêtements chez un petit fripier du village voisin.
La Guellaa fut ravie par les nouvelles révélations puisqu’elle se trouvait confortée dans son rôle d’imbattable Chouaffa, étant donné qu’elle ne savait pas que la veste venait de la friperie et qu’elle avait ramené, en toute bonne foi, la personne qui l’avait achetée en premier, en l’occurrence, cet étranger. »
Comme j’éclatais de rire, Ahmed Abd el Gawwad, remit son chèche en place après s’être gratté la tête, puis me toisa d’un regard dédaigneux avant de continuer son récit.
« Le dénouement de cette affaire semble te plaire et pourtant la suite est moins gaie. En effet, même s’il est vrai qu’après l’épilogue heureux, tout rentra dans l’ordre, Bedra finit par épouser cet homme, venu d’un autre monde spécialement pour elle ; la Guellaa se spécialisa en disparitions en tout genre et doubla le tarif de ses consultations ; le commerce de la friperie prospéra car chacun espérait connaitre le même sort que Bedra.
« Tout le monde il est gentil et tout le monde il est beau » sauf que c’est ainsi que la misérable sorcière rapatria chez nous tous les genres humains et c’est ce qui explique peut être les brassages de civilisations vécus par notre pays et les… ».
Ayant épuisé le coup de l’étrier avant de m’épuiser, j’ai du m’en dormir plutôt que prévu car je ne me souvenais plus de rien.
À mon réveil le lendemain matin, je sentais qu’il m’attendait d’un pied ferme pour une nouvelle expédition, mais là… c’est déjà une autre histoire.
Djilali Benbrahim.
13 décembre 2008
BENBRAHIM DJILALI