Lipogramme
Ça arriva un trois mai « agitation au Boul’mich »titra un journal du soir sur l’injonction d’un mandarin pas malin ,un adjudant lança son bataillon à l’assaut d’anars cocos ou J.C.R, qui , à bon droit ,voulait un pardon total pour cinq copains foutus au trou .Un gros caillou pris dans la cour vola sur un grand camion noir garni d’orangs-outangs vachards .Un tumulus apparut au mitan d’un trottoir ;on y voyait un tronc abattu dans un fatras non concis d’aotos qu’on brulait .Craignant un mauvais parti ,Grimaud ordonna son pogrom :l’argousin s’affaira ,matraquant ,asphyxiant ,s’acharnant sur son maint moribond K.O .L’opinion s’alarma .Un million d’individus parcourut Paris ,brandissant son chiffon noir, qui son chiffon cramoisi ,hurlant vingt slogans antidictatoriaux « dix ans ça suffit »,Charlot à nos sous » », « pouvoir au populo »
G.Pérec , La disparition
Préparez une liste de mots (substantifs , adjectifs ,verbes ) ne comportant pas la lettre «e » ou « i » ou « a »….Quand votre liste est prête ,cherchez à réaliser des liaisons syntaxiques et à composer des phrase qui soient grammaticalement correctes .Organisez-les en texte.
Contrainte :
Un lipogramme est un texte dans lequel on s’est interdit d’utiliser une lettre.
On peut écrire de nouveaux textes sous cette contrainte mais également travailler sur des textes déjà existants.
On choisit un texte et on en fait une « traduction lipogrammatique », c’est-à-dire qu’on le réécrit en s’interdisant d’employer une lettre.
Exemple :
Longtemps je me suis couché de bonne heure
Sans I : Longtemps nous nous couchâmes de bonne heure
Sans C : Longtemps je me mis au lit de bonne heure
Sans S : Enfant, on me mettait au lit très tôt
Sans R : Longtemps je me suis couché à la tombée de la nuit (avec les poules)
Sans E : Durant un grands laps, on m’alita tôt, trop tôt pour moi.
(Extrait de l’ Atlas de littérature potentielle)
Contrainte du prisonnier
messire, voici une naïve missive, nous sommes sans ressources, nous en sommes navrés, mais exauce nos voeux: envoie-nous un secours. ami inconnu, viens nous sauver. nous sommes incarcérés en ce caveau mousseux. on nous a voués à crever en ce mouroir, nous en sommes assurés. or nous ne sommes ni vauriens, ni escrocs, ni assassins, ni mercenaires sans armée, ni écumeurs corsaires, ni nécromanciens maures ou sorciers cornus. nous sommes six miséreux, causeurs verveux, écrivains sans mécènes, romanciers méconnus, musiciens curieux, amuseurs insensés, rêvasseurs visionnaires associés en une crâne connivence. nous vivions sereins, en ces environs, sans corvées, sans soucis, sans rancoeurs, sans un sou mais sans créances. nous avions en aversion rixes ou roueries; nous vécûmes en vraie innocence, sans occasionner aucune noise à nos envieux voisins. nous n’avons assouvi aucun crime: nous n’avons occis aucun curé venu encaisser ses écus, nous n’avons assené aucune rosserie à son cérémonieux vicaire. nous n’avons assommé aucun missionnaire en carême, massacré aucun moine en ascèse, éviscéré aucun novice en communion, suriné aucune nonne en neuvaine. nous n’avions rançonné aucune messe, nous n’avions saisi aucune aumône, nous n’avions ravi au séminaire aucune croix en ivoire, nous n’avions arçonné aucun rosaire vernissé. aussi n’avons-nous commis aucune simonie. une oiseuse commère avinée nous en a accusés! son éminence crossée, courroucée en sa sérénissime sinécure, nous a incriminés. un escrimeur en armure, arrimé sur un coursier à rousse crinière, nous cerna avec ses sicaires aux cuirasses armoriées. ce vicieux sire nous coinça en une rusée souricière. mais nous n’avions aucune arme sur nous: ni massues, ni arcs, ni même un rasoir émoussé; sacs ou monnaies en or, nous en avions moins encore! néanmoins un commissaire nerveux nous a mis sous écrous. on nous a asservis à une erse avec une courroie en cuir coriace. nous n’avons rien reconnu: sans concession aucune nous avons récusé ces rumeurs cancanières, en commun nous avons nié ces sévices. une cour insane, réunie en session aux assises, a sévi avec excès car nous avions crié, avec une vive assurance, nos rimes insoumises à une reine acrimonieuse: une veuve mauvaise comme une verrue, avare comme un usurier, véreuse comme une carne. cocasse ironie! nous avions vexé son oisive couronne. nous servions une cause sincère: nous avions émis un sarcasme unanime envers une souveraine exécrée. ainsi avons-nous causé son ire rancunière. un vers, censuré aux ciseaux, nous a envasés en une ornière. une inconvenance nous a menés en une cave moisie. sans recours on nous a soumis à un exorcisme. on nous a roués sans aucune merci. avec une masse, un nervi simien a cassé nos os en morceaux sur un arceau en orme sec. nous nous sommes évanouis, on nous a secoués, on nous a ranimés, sans rémission on nous a rossés encore avec une canne en merisier. un assesseur aux naseaux camus nous a emmurés ici, en ce manoir en ruines. encavés, remisés sans soins, nous serrons nos mains émaciées, aux varices nouées, sur nos couennes cornées. carcasses inanimées, nous sommes ramassés, en vrac, sur un sommier noueux. nous suons, nus sous nos suaires cireux. une âcre sanie avive nos escarres. on nous nourris avec une cuisine avariée servie avec une eau amère, une rinçure rance comme une saumure. nous survivons céans avec un air vicié: en un crasseux urinoir rivé au roc, macère une ocre vomissure. ce vieux mur maçonné nous écrase sous ses verrous en acier. sous ces vérins usinés, sous ces serrures cuivrées aux mécanismes usés, un univers vénéneux ricane, marmonne, maronne, sermonne, ânonne, menace, ressasse sans cesse: « assume ce crime encore inavoué, crois en moi…sois soumis, vermisseau!.. nous avons mainmise sur vous… nous savons, nous sommes convaincus, nous avons raison… si nous recevons vos aveux, nous serons moins sévères… niaises scories, nous connaissons vos oeuvres, aucune omission ne sera excusée… avoue, vermine, avoue, sinon nous saurons vous nuire… nous vous réservons un vrai crève-coeur! » encore un soir, encore une semaine, encore un mois, encore une saison. noire misère! sournoise avanie! ce vacarme mine nos insomnies. en six ans un cerveau se nécrose, une raison se carie. en un recoin inconnu une névrose couine comme une vouivre carnassière, une vésanie s’insinue comme une murène carnivore. ce ver marin, avance son museau vorace. sa canine acérée verse son venin. sa venue s’annonce avec un miasme, sa morsure vireuse, comme une morve cancéreuse, écoeure! un ennui morose ravine une morne vie sans envie, sans amour, sans âme. une vive rémanence, en une rêverie moirée, crève nos crânes rasés, crevasse nos amnésies. un souvenir, une réminiscence nuancée, résonne en nos caverneuses mémoires: ces acacias aux arômes rares, ces moineaux sur ces ramures en mai, ces cerises cramoisies, ces raisins savoureux, ces vins résineux, ces rires sur une avenue, ces vaines errances en ces rues animées, ces soirées mauves, ces mariés unis sous ces caresses, ces émois amoureux… saurions-nous encore nous en amuser? on a vissé nos commissures, on a rivé nos narines. saurons-nous encore sourire? nous ne reverrons aucune vénus aux seins sucrés, aux cuisses roses. nous sommes sans semence. saurons-nous encore vivre? mais une suave ivresse nous rassure car nous ouvrons, sans marins, sans vaisseaux ni navires, une issue sinueuse vers un immense océan nacré aux marées inassouvies. nous suivons un accès vers une mer sans ressac, sans remous ni écume, où une sirène vénérée susurre un murmure inouï aux consonances aériennes. sa voix irisée ronronne: « vois ce vivace oiseau! ce serin incarne une renaissance; son essor recrée un avenir! » merci, muse sacrée! merci, mère encensée! nous avons un savoir si ancien, une vision si neuve. si nous rêvons encore, ce sera un sursis: nous réussirons une évasion. si nous osons écrire, ce sera un succès: nous serons invaincus. ami, au revoir, nous converserons encore, sois en sûr, car, même si nous errons sans sauveur en un ossuaire noirci, même si nous mourons sans messie, ce mince essai, aux runes encrées avec nos nausées, nous survivra sous ces cieux ou sur ces nuées.
Ce lipogramme interdit toute lettre à jambage ascendant ou descendant (pour respecter la présentation, les majuscules ont été éliminées et remplacées par des caractères gras).
Il fallait que la réponse en soit le miroir : la contrainte (beaucoup plus facile) oblige à n’employer que des mots contenant des lettres à jambages
Réponse libre
Pauvre hère blessé, triste poète emprisonné, je lisais hier la sinistre lettre que le vent malin avait portée jusque dans la bibliothèque poussiéreuse qui est le seul lieu dans lequel je puisse méditer. Elle était là, frémissante, près du manuscrit oublié, abandonné depuis très longtemps. Comment est-elle parvenue dans cette gentilhommière oubliée de tous? Tes lignes pleurent l’infinie solitude des reclus. Tes mots qui saignent semblent l’exact reflet de ton corps maltraité. Je t’aperçois gisant contre la muraille érodée de ton puant cachot. La plume que je tiens tremble d’impuissante colère, mes sentiments oscillent entre la rage froide et le dégoût le plus ignoble. Ta peine est de toute évidence absurdement inique; ton horrible souffrance représente la plus criante injustice qui soit. Les faits que je relaterai sont aujourd’hui attestés par les témoignages recueillis depuis des lunes par les sbires et les espions qui ont été mandatés par des seigneurs indépendants pour obtenir la clef de cette énigme. Je me permettrai donc de dresser, dans cette dépêche, l’inventaire de tes déboires.
Monseigneur l’Evêque qui est généralement fort peu perspicace, sombrait alors dans la plus parfaite confusion. Après l’infâme tuerie des ecclésiastiques et le pillage sacrilège du couvent, l’enquête stagnait (la soldatesque et les gendarmes préférant assurément boire dans les auberges plutôt que de combattre des malandrins et des écorcheurs équipés de lames plus affûtées que les leurs). L’instruction traînant de trop, les paysans apeurés renâclaient pour payer la dîme. Les pauvres récoltes et la peste qui sévissait dans des contrées beaucoup trop proches aggravaient les inquiétudes des petites gens. Il fallait absolument étouffer la révolte qui couvait. Quelqu’un devait payer pour cette hécatombe: il était donc urgent d’arrêter et de châtier des responsables, quels qu’ils fussent. Dès lors, l’évêché écouta trop attentivement les odieux commérages de la vieille bigote radoteuse qui vivotait dans votre voisinage. Les prélats paresseux lui accordèrent tout leur crédit, ils trouvèrent de cette façon les parfaits coupables.
Cette bande de joyeux drilles, de fieffés compères, de vagabonds excentriques et d’artistes séditieux qui vivaient dans l’affranchissement des contraintes entachait irrémédiablement la réputation du diocèse et la grandeur de l’Eglise. Le pouvoir déteste les bohémiens et les saltimbanques qui contestent l’ordre établi et l’autorité. Le Comte profita de l’affaire pour nettoyer les alentours et affirmer la puissance de l’aristocratie. Les hallebardiers et les lansquenets ont balayé votre tranquille société qui puisait l’inspiration dans la liberté, les plaisirs simples et le bonheur de la création gratuite. L’officier du guet et les soudards qui représentent la force publique furent immensément réjouis d’enchaîner enfin les gêneurs impénitents qui troublaient la rigide organisation de la société civile et le confort des bourgeois.
Les juges enrubannés ont instruit le procès. Les avocats de la défense ont habilement plaidé: ils démolirent l’argumentaire de l’accusation, et produisirent des témoignages et des alibis qui attestaient votre présence dans d’autres lieux. Cependant la justice était endormie, l’honneur ronflait et la vérité était bafouée par les fantasmes et les cauchemars des bien pensants. Les perruques poudrées dodelinaient, les regards des honorables juristes nageaient dans cette douce somnolence qui suit les repas trop copieux et trop arrosés. Le fastueux banquet, offert par le palais royal, juste avant l’ouverture des débats avait rempli les panses et vidé les cervelles. Notre acariâtre régente, grandement offensée par les sarcastiques diatribes que tes camarades et toi aviez proférées dans les chants et les libelles, avait décidé de tout entreprendre pour faire taire cette fière insolence qui insultait la monarchie. Alors elle laissa entendre que de tels brigands, maraudeurs, voleurs de reliques et cruels meurtriers de saints clercs de surcroît, devaient subir les plus cruels châtiments. Cette volonté farouche et bornée et les liqueurs qui les avaient abreuvés durant leurs agapes influencèrent les magistrats, tout tremblant de peur de perdre leurs confortables charges et leurs prérogatives rémunératrices. Toutes les requêtes furent irrémédiablement rejetées. Le tribunal décida de condamner lourdement et peu importaient l’absence de preuves et les dénégations hurlées dans le prétoire par les inculpés accablés et leurs défenseurs indignés!
Tu refusais cette sentence, malheureux innocent, alors les exorcistes ont fait leur immonde travail. Les greffiers avaient absolument besoin de ta confession pour clore le chapitre et ils t’imposèrent l’épreuve de la question. Les bourreaux te torturèrent des jours durant, ils brisèrent tes membres et te firent entrevoir les portes de l’enfer. Dans cette salle voûtée tes plaintes envahissaient l’obscurité, et, malgré la douleur hideuse qui engourdissait ton esprit malade, tu repoussais toujours les demandes pressantes des inquisiteurs impatients. Tes tortionnaires ont continué leur sanglant office bien que tes compagnons d’infortune et toi ayez sombré depuis des heures dans le plus grand délire (certains de tes camarades d’affliction moururent la bouche close, les lèvres jointes par dessus leurs dents fracassées). La Très Sainte Inquisition prit alors la décision de laisser le temps faire l’ouvrage.
Des gardes t’ont jeté dans d’humides oubliettes, tu étais alors profondément inconscient. Dans le cul de basse fosse pestilentiel du donjon, tu croupis maintenant parmi les immondices et les déjections de rats. Le pus suinte de tes plaies ouvertes, la nourriture pourrie et l’infecte boisson saumâtre que daignent te donner tes geôliers intensifient ton calvaire. Le Diable est ta seule compagnie et, malgré les apparences trompeuses, le Mal est toujours du côté des régents stupides et des tyrans vaniteux dont l’unique ambition est de rendre les hommes incapables de penser. Pour que ton martyr soit complet, Lucifer tente de détruire ta personnalité. Insidieusement, il attend que tu t’effondres dans les bras malsains de la folie. La démence, fidèle maîtresse de Satan, le suit depuis l’aube de l’humanité; elle traîne derrière elle l’affligeant cortège des spectres du passé et des fantômes des joies disparues. Il te faut résister. La malice du démon est infinie, il attend que tu signes ta déclaration de culpabilité, et il sait faire montre de la plus grande patience. Le temps égrène des secondes éternelles et des minutes empoisonnées. Pars naviguer dans cette imagination qui constitue ta seule défense, ton unique réconfort, la présence impalpable de la fée qui te protège est le gage de ta réussite.
Je souhaite ardemment que cette épître te parvienne parce qu’il te faut continuer ton juste combat et clamer dans tes écrits que la seule faute est celle de tes tourmenteurs! L’humble philosophe que je tente de devenir fera tout pour t’aider, déjà, les penseurs ont mobilisé leurs disciples. Les chaires d’université servent de cheval de Troie pour faire éclater la sincérité de ta lutte et l’évidence de ta bonne foi. Les professeurs examinent les arguties et des étudiants lisent des pamphlets dans les estaminets. La mort constituera peut-être ta délivrance. Malgré tout sache-le, tu demeures libre, ta correspondance l’atteste. Reste confiant, tes larmes te survivront.
10 mars 2011 à 12 12 36 03363
Bonjour à tous !
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