Si Ahmed « Mhainane »,la mascotte du village

Figures de mon village

         Des personnages – de petites gens en fait – ont su tisser entre eux et la population par leur spontanéité et leur débilité tout à fait sympathiques des liens étroits, parfois même passionnels. La plupart sont décédés et il serait indécent, voire injuste de ne pas honorer leur mémoire, maintenant que ces mascottes appartiennent au patrimoine du bled. Sans ces personnages, le village aurait l’air d’une œuvre inachevée.

5- Si Ahmed «Mhaïnane», la mascotte du village.

« Il » est le dernier des Mohicans, celui-là, bien qu’encore en vie, vient de perdre la vue !

Si Ahmed est plein de tendresse. Du temps où Sougueur jouissait de la prévenance de sa population

et de sa joie de vivre, M’hainane en fut la principale attraction. Tous les jeunes de l’époque

aimaient sa compagnie et sans nul doute il est l’une des rares personnes de son état qui aura vécu

des choses intenses. Des hauts et des bas. Un personnage extravagant ! Il pouvait atteindre les cimes en fréquentant les notabilités et en un rien retomber dans les abymes de la délinquance aux cotés des

compères du cercle très fermé de la beuverie. Ainsi, on pouvait le voir aisément saluer les gens

d’un air cérémonieux, à travers la vitre à moitié baissée, assis confortablement dans une voiture

de haute gamme. Comme par d’autres nuits, il lui arrivait de déambuler pied nu et tout trempé dans

les ruelles louches d’un quartier mal éclairé, la gueule grisée et le regard défaillant. Mais Si Ahmed

avait sur tout ce beau monde un avantage certain : sa simplicité d’esprit et sa naïveté naturelle, aussi

n’avait-il rien à se reprocher… Fervent supporter de l’équipe locale de football, c’est la coqueluche

du stade et les joueurs, avant le match, l’embrassaient en comptant sur sa baraka !

Qu’il est loin, ce temps où la population prenait à cœur les préoccupations de sa frange la plus

démunie, lui témoignant de la gratitude et de la sympathie ! Autrefois, la vie n’était pas toute rose

mais elle méritait d’être vécue !

Si Ahmed est devenu hélas une sorte de défouloir public et beaucoup de jeunes gens l’excitent et l’exaspèrent, ne tenant compte ni de son âge, ni de sa grande galère dans ce village qui l’a vu naître,

grandir et vieillir. Maintenant qu’il n’y a plus de lumière dans ses yeux, nous pensons

à tort que M’hainane n’a plus le même regard vif, qu’il y a quelque chose d’éteint en lui,

quelque chose de cassé. Mais lui sait que c’est le regard d’autrui posé sur lui qui a changé.

Pas lui ! Même plongé dans le noir, Si Ahmed est resté intact, toujours le même, avec sa bonhomie,

son amabilité et sa simplicité d’esprit increvable.

 

Malgré la bonne volonté et l’acharnement de quelques hommes de cœur, à vouloir le soigner

de sa cataracte, Si Ahmed s’est démené de toutes ses forces ne leur laissant aucune chance.

Une fois, il a même essayé de se jeter par la vitre d’une voiture !

 

M’hainane a choisi de terminer ses vieux jours dans l’ombre, éclairé de sa seule bonne étoile…