Figures de mon village
Des personnages – de petites gens en fait – ont su tisser entre eux et la population par leur spontanéité et leur débilité tout à fait sympathiques des liens étroits, parfois même passionnels. La plupart sont décédés et il serait indécent, voire injuste de ne pas honorer leur mémoire, maintenant que ces mascottes appartiennent au patrimoine du bled. Sans ces personnages, le village aurait l’air d’une œuvre inachevée.
4- Si Abdelkader, le misanthrope.
Si Abdelkader est un personnage qui nous vient directement de l’Odyssée, on le prendrait pour Ulysse, dissimulé dans les flancs du cheval de bois pénétrant dans Troie ou emprisonné dans la grotte du cyclope ! Longiligne et la démarche olympienne, il n’oubliait pas à défaut de glaive et de filet de se munir de gros projectiles de cailloux contre d’éventuels chenapans en manque de distractions, qui s’acharneraient contre lui. Sa barbe se confondait au noir de son inusable djellaba et de loin on croirait voir le visage candide d’un adolescent imberbe. Sa redingote lui arrivant à peine en dessous des genoux, on ne pouvait pas ne pas remarquer le contraste de la blancheur juvénile de ses jambes de fuseau se détacher de sa silhouette ténébreuse ! De temps à autre, parce que c’est un usage chez lui ou qu’il n’avait peut-être pas les moyens de chausser un pantalon, il se promenait nu sous sa djellaba. Si Abdelkader était un personnage peu discoureur qui vous jetait d’une voix de femme sa sempiternelle formule en pleine figure : « Donne-moi quatre douros pour acheter une galette de pain ! » Et ma foi, quand on lui repoussait ce qu’il sollicitait, il ne se gênait pas d’aller jusqu’à exhiber les reliefs de sa nudité ! Souvent, on lui donnait les quatre sous et il nous foutait la paix. Pas vraiment une attraction pour les gosses. Le bonhomme était impondérable.
Belfedhal Said
4 novembre 2008
Belfedhal Said, Non classé