Porte 4 :
Ah, ce cher cinéma Nador !
de Belfedhal saïd
Notre village s’enorgueillissait de posséder sa salle de cinéma. Imaginez un peu, un pareil bijou en plein milieu pastoral ! Cette cité dont l’essence est foncièrement campagnarde a pu se permettre une attraction citadine tout en étant entourée de fermes paysannes !
Ici, il me vient une anecdote tenue de Saâd Aouadhane, une personne qui connaît chaque recoin de ce cher cinéma Nador pour y avoir travaillé quelques années comme aide opérateur dans la cabine de projection. Il fut dans le même temps « fouilleur ».
Un jour, comme à l’accoutumée, l’entracte terminé, les spectateurs rejoignaient leurs sièges après avoir grillé une cigarette à l’angle de la rue ou apprécié des brochettes à la braise chez les frères« Arab », gargotiers du coin. Par monotonie d’abord, devenant une manie ensuite, Ziouèche, l’opérateur et son acolyte, parce qu’ils avaient projeté plusieurs fois le même film, entreprirent de l’écourter ! Aussi le meilleur moment de « grignoter de la bande » restait-il celui du passage de la première bobine à la deuxième !
Nous sommes en 1959 et il est assez aisé de deviner dans quelles conditions et avec quels moyens on pouvait assurer une séance de projection ! Seulement ce jour-là, un spectateur, cordonnier de son état, Si Bouchatt « el k’bir » (le grand dans le sens de vieux) – il atteignait à peine 1m 30 ! Son fils, un professeur de mathématiques très compétent en était le contre exemple : Une force de la nature tout en hauteur et en poids ! – donc cet abonné du cinéma bien connu de la diaspora sougrie (trézélienne de l’époque) pour sa liberté d’humeur ne l’entendait pas de cette oreille ! Du balcon où il avait pris place, il quitta fumant de colère, son fauteuil en direction de la cabine de projection située en ce même endroit, et ouvrit la porte qui laissait entrevoir entre deux rais de lumière deux visages ruisselant de sueur. Un air chaud s’y échappait, libérant une émanation de brûlé, piquante et propre à cette industrie cinématographique commençante.
- « Vous n’êtes que des voleurs ! » leur lança ce spectateur indigné. Pour toute réponse, l’opérateur au corps râblé, le torse nu, sans hésiter lui asséna un coup de tête en plein visage. L’on vit le pauvre malheureux s’étaler le long de tout son petit corps sur les marches de l’escalier qui conduisait au rez-de-chaussée !
Tout juste après, l’arcade sourcilière un peu abîmée et encore en sang, il se présenta à son ami, l’unique médecin du village, M. Parrot. Celui-ci entra dans un courroux tel que, alliant la parole à l’acte, il lui établit immédiatement un certificat médical d’incapacité physique le dispensant de toute activité pendant quinze jours !
Mais…dès qu’il sut qui était l’auteur de cette agression à l’encontre de son ami, le toubib prit le papier qu’il avait lui-même signé et le déchira devant le regard confondu du plaignant. - « Ecoute, mon ami, si tu engages la procédure, c’est la prison qui attend notre opérateur. Autrement dit, nous allons être privés de cinéma pendant plusieurs jours ! Ou irions-nous passer nos soirées, nous qui n’avons que cette distraction-là ? »
A l’insu de son ami, ce brave médecin s’en alla dire quelques mots à l’opérateur qu’il connaissait bien. Il parvint ainsi à les réconcilier et tout redevint comme avant…Enfin, pas tout à fait car Ziouèche ne pouvait s’empêcher de succomber à son pêché mignon puisque même de notre temps, il fut toujours fidèle à sa réputation de « censeur » ! Incorrigible Ziouèche !a
2 novembre 2008 à 0 12 22 112211
Cher Said
En te lisant, ma nostalgie se rebelle,et je me sens transporté dans une autre vie belle ,paisible;celle que tu racontes avec ta finesse habituelle et qui me donne l’envie d’être un mot de ton texte.